Il fut un temps d’autrefois où l’on ne recherchait pas vraiment le bonheur : il était réservé au paradis. Aujourd’hui, on ne croit plus guère à ce paradis de l’au-delà. On veut le bonheur ici et maintenant. Le bonheur n’était qu’un sous-produit de l’existence. On pouvait peut-être l’obtenir mais c’était en cherchant autre chose. Manger à sa faim, avoir un toit chauffé en hiver et pas trop chaud en été, vivre en bonne harmonie avec son propre corps, avec un conjoint, sa maîtresse ou son amant, sa famille, sa concierge, ses voisins. Lorsque tout cela était réuni, on s’estimait déjà heureux. On approchait sans doute du bonheur mais être simplement heureux n’était déjà pas si mal. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à penser que, dans nos sociétés occidentales, il est moins difficile sinon plus facile qu’hier de manger à sa faim sous un toit chauffé et de vivre plus longtemps en bonne santé. Hélas ! On peut posséder, en supplément, toutes les applications possibles sur son Smartphone. On peut voyager dans la voiture la plus confortable et la plus rapide sur les routes les plus sécurisées dans les pays les plus hospitaliers et les décors les plus grandioses. On peut goûter à satiété les mets les plus fins et les plus délicats, boire les vins les plus gouleyants et les plus rares dans le cadre le plus prestigieux et le plus convivial avec les commensaux les plus divertissants. On peut exercer la profession la plus rémunératrice et la plus valorisante et accéder aux postes les plus élevés, grâce ou en dépit de la plus noire incompétence. Et n’accéder toujours pas à la banlieue du bonheur. Peut-être est-on heureux de temps à autre, ici ou là. Mais comme la ligne d’horizon, le bonheur recule régulièrement à chaque pas effectué dans sa direction. On ne sait même pas d’ailleurs si le bonheur rend véritablement heureux. On le croit. On l’espère. Mais Michel Onfray lui-même ni les plus grands philosophes n’apportent de réponse à cette question pourtant cruciale. La solution à cette quête du bonheur est donc manifestement ailleurs. Si le bonheur n’est pas pour demain comme on le croyait jadis, s’il n’est pas pour maintenant comme on le croit aujourd’hui, il ne peut donc que se conjuguerau passé.Un petit exercice d’une admirable simplicité peut aider à comprendre. Énumérez par exemple tout ce à quoi vous avec échappé depuis une année. Le réveil des volcans d’Auvergne, un concert d’Arielle Dombasle, un nouvel ouvrage de Michel Houellebecq, une paralysie pendant trois jours entiers de la ligne B du RER et une clôture d’office de vos comptes en Suisse. N’avez-vous pas, tout compte fait, vécu heureux sans le savoir ? On voit par là que les hommes politiques devraient ignorer les promesses et privilégier les souvenirs. Mais on ne voit pas, par contre, comment le monde pourrait, un jour, tourner un peu moins de travers.
Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter