Allan Beffroi 2

Publié le 21 février 2014 par Yannbourven

...La Réalité-nuit est tout à fait envisageable, elle a déjà sévi ici-bas, les témoins et les acteurs sont légion, pour la faire renaître il suffit d'assembler les différents éléments oniriques qui composent ce géant convulsif, broyeur de résignations. Il tente de le faire tous les jours, Allan Beffroi, en écrivant, en creusant encore, en cartonnant inlassablement son inconscient, mais pour les gens il n'a jamais rien foutu de sa vie, il a juste écrit et publié des livres de poésie-vérité, mais dans ce monde ça ne compte plus, on ne lit plus c'est clair : mes engins, mes engins réels mais à l'arrêt, invisibles, trahis par le marché, mes petits monstres, vous allez rouiller si vous ne partez pas en mission mes avions de chasse ! Vivement la guerre ! Vivement que je balance mes bombes chimiques sur ces villes-chiennes robotisées, il se dit ça parfois, sans trop y croire... Ah ! Me vautrer sur mon bureau, étincelant, tandis que mes doigts experts cartonneraient le clavier de l'ordi en charge, dans mon studio les livres s'effacent, faut se reprendre, j'aimerais voyager, tout noter, Paris s'est endormi, et ça fait un bail, il faut re-dérégler cette ville, qui est sur le point de me digérer... Je vais errer, en saboteur, les paupières cousues, pour le moment.... Vivement la guerre, vivement la guerre, ce n'est pas si simple de déclencher les hostilités, il erre, Allan Beffroi, dans ce Paris défait, comme s'il bouffait les trottoirs à même le désespoir, sûr que la terre s'ouvrira un beau jour, pour recracher ses morts et ses mots, comme on dit, il pleuvra un d'ces quatre des os rongés sur nos têtes abruties... Vivement la guerre... « L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. – Après-midi piscine. » Allan repense à cette phrase de Kafka (Journal, 2 août 1914), et il sourit. Ce sourire penché d'outre-tombe pourrait être considéré par le passants comme un sourire cinglé parmi les sourires cinglés. Mais ce sourire a provoqué (excusez du peu) l'ouverture de ses paupières, enfin ! On m'a enlevé les fils ! Mes yeux sont libres ! Matons tout autour, oh d'accord, il souffle, Allan Beffroi a vite déchanté... C'est si grisâtre, à t'en donner la nausée... Je préférais lorsqu'ils étaient fermés, mes yeux, je préférais regarder le film de mon inconscient... Mais il faut sortir de soi ! Allan Beffroi tente de se motiver, mais à quoi bon, manquerait plus que ça, devenir un joyeux, un épris, un souriant béat, un hippie à la con, un optimiste, n'importe quoi. Ne fais pas semblant, ne fais pas ! Rue de Douai, Allan Beffroi pourrait marcher à l'envers, gratuitement, et grimper aux arbres de ce square poisseux, tu pourrais aire machine arrière, remonter le temps, te retrouver coincé dans une vieille carte postale jaunie où l'on t'apercevrait souriant au beau milieu de la Place de Clichy en 1914... Beffroi réussit à retirer 20 euros au distributeur, quelle soulagement, j'ai littéralement explosé mon découvert. Entre Blanche et Pigalle il se pose sur un banc, il fouille dans une poche de son blouson, il y trouve une clope, merde pas de feu ! L'extra de 17h, j'sais pas, j'y vais j'y vais pas à cette putain de brasserie rue de Belleville, faudrait tirer à pile ou face, non, c'est con, j'ai besoin de tunes, de toute façon j'ai toute la ligne 2 à remonter à pied, j'ai le temps d'y réfléchir. Il demande à un vieux crade de s'approcher un peu. T'as pas du feu ? Si, attends... tiens, mon gars, j'ai des allumettes, ha ! C'est rare des allumettes mon gars ! Merci. Et toi t'as pas une clope, s'te plaît ?  Je fume la dernière, désolé.  J'te crois pas. D'accord, me crois pas. Soudain quelqu'un siffle. Allan relève la tête, j'espère que c'est pas pour moi, j'ai horreur de ça qu'on m' siffle, c'est pas sérieux, ça se fait pas de siffler les gens. De l'autre côté du boulevard, près de la petite station service, une fille le fixe en souriant. Où est-ce que je l'ai vue celle-ci, dans une soirée ? Elle continue de le regarder sans cligner les yeux, elle insiste, elle l'allume on dirait, c'est ce qu'il pense sérieusement lorsqu'elle se met à tripoter le pistolet de distribution de la pompe à essence... Mais pourquoi elle fait ça, cette conne ? Alors il se lève, traverse le boulevard, se dirige vers elle, calmement. Mais il l'esquive, au dernier moment, et il s'engouffre comme un débile dans l'épicerie rebeu juste à côté. Il y achète deux canettes de 1664 puis il est ressort, s'approche de la fille, et lui offre une bière... Où est-ce que je l'ai vue celle-ci, dans une soirée ? La fille le remercie......