La doctrine catholique n’est pas seulement un discours théorique que le Christ aurait délivré lors de son ministère public à la manière d’un philosophe, la doctrine chrétienne est aussi la vie incarnée du Christ. Sa vie est donc toute entière partie prenante de la révélation.
C’est bien cette idée qui a inspirée le livre l’imitation de Jésus Christ qui s’ouvre par ces mots : "Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, dit le Seigneur. Ce sont les paroles de Jésus-Christ, par lesquelles il nous exhorte à imiter sa conduite et sa vie, si nous voulons être vraiment éclairés et délivrés de tout aveuglement du cœur. Que notre principale étude soit donc de méditer la vie de Jésus-Christ."
* * *
Et lorsque nous lisons l’Évangile, il apparaît au fil des pages une grande douceur du Seigneur dans son enseignement. Je pense ici à la Samaritaine (Jn 4, 16-18), mais les exemples sont nombreux et en faire un inventaire n’apporterait pas grand chose me semble-t-il. Il en est toutefois certains qui veulent voir une possibilité de la dureté dans certaines paroles "sévères" et qui veulent se l’approprier. Je crois que plusieurs hypothèses peuvent être avancées qui font que toute transposition pastorale pour nous n’est pas envisageable.
Premièrement, la cible des paroles les plus sévères : ce sont souvent les pharisiens. Des personnes qui se prétendent détenteur ou dépositaires de la loi divine, des personnes qui jouissent d’un statut social enviable (dans le contexte sociologique de l’époque). Quelle catégorie de population pourrait être une cible comparable ? Le statut social des ecclésiastiques dans un occident déchristianisé n’a plus rien de comparable… peut-être des stars du show-buisness ? Dans quelle mesures sont-elles des gardiens d’un ordre moral ? La question est ouverte et en tout cas je n’ai pas de réponse. Aussi je préfère m’en remettre au point suivant de mon analyse.
Deuxièmement, le Seigneur nous aime chacun de nous. Il veut donc notre bien. Et à ce titre là, il me semble que lorsque le Christ se montre un peu "rude" avec un de ses interlocuteur, c’est très certainement qu’il sait que son interlocuteur est à même de recevoir ses paroles ; comment imaginer le Christ, même lorsqu’il est "dur" avec certain de ses interlocuteurs, qu’il chercherait à la blesser, à les humilier, à les vexer… à leur faire de la peine ? Cela ne me parait pas crédible. Alors, j’ai toujours l’impression que lorsque l’un d’entre nous utilise des insultes, des injures, du mépris, de la dérision ou des attaques personnelles soit disant pour "faire prendre conscience" à son prochain du chemin à prendre "pour avoir la vie éternelle" (Mt 19, 16) qu’il se prend pour Dieu en personne ! Ou lorsqu’il s’agit de "corriger" une interprétation pastorale, alors cela me fait toujours penser qu’un seul se sentirait investit à lui seul de l’Esprit Saint chargé de guider le peuple de Dieu (LUMEN GENTIUM n°12). Ne m’appliquant pas à moi-même cette exigence de bienveillance, je me dit dans ces cas là : "ça se soigne !"
Troisièmement, le Christ dit de lui même qu’il est le "chemin" (Jn 14, 6) ; cela me semble aller dans le sens d’une "démarche" de croissance. Suivre le Christ n’est pas être immaculé, mais être "en croissance", de cheminer à Sa suite, de cheminer avec Lui, qui est ce chemin qui doit nous conduire au Père. Ce cheminement est douceur évangélique. Cela me fait penser à la fameuse expression à propos de "la loi de la gradualité" qui n’est pas pour autant à confondre avec une soit disant "gradualité de la loi". Ce qui est bien, ce qu’il faut faire pour suivre le Christ n’est pas relatif à notre point de départ. Nous devons tous rejoindre le Christ et l’Église est là pour nous y aider à la fois en nous donnant les sacrements et aussi à travers son enseignement. L’encyclique VERITATIS SPLENDOR nous montrer bien ce point en nous enseignant que "la présentation claire et vigoureuse de la vérité morale ne peut jamais faire abstraction du respect profond et sincère, inspiré par un amour patient et confiant, dont l’homme a toujours besoin au long de son cheminement moral rendu souvent pénible par des difficultés, des faiblesses et des situations douloureuses. […] cela doit toujours être accompagné de la patience et de la bonté dont le Seigneur lui-même a donné l’exemple en traitant avec les hommes. Venu non pour juger, mais pour sauver (cf. Jn 3, 17), il fut certes intransigeant avec le mal, mais miséricordieux envers les personnes" (VS n°95).
Enfin, une dernière précision, si Dieu est bon, il n’est pas poire comme disait un de mes aumôniers. Faire preuve de bienveillance ne veut pas dire ne pas confesser la foi que nous avons reçu des prophètes et du Christ. Lui même n’hésite par à dire la Vérité devant Pilate, même au péril de sa vie : "Tu dis bien : je suis roi. Je rends témoignage à la vérité, c’est pour cela que je suis né et que je suis venu dans le monde. Tous ceux qui sont pour la vérité écoutent ma voix." (Jn 18, 37) Le Seigneur attend de son Église qu’elle aussi confesse la vérité. Cet appel n’est-il pas à reçevoir comme une sommation : "s’ils se taisent, les pierres crieront." (Lc, 19,40). Oui, nous devons impérativement confesser le Christ et son Eglise, avec douceur mais sans négliger la réalité dans laquelle nous évoluons. Sans agressivité, mais avec rigueur. Peut-être est-ce là aussi cet enseignement du Christ lors de son procès : "Si j’ai mal parlé, montre où est le mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?" (Jn 18, 23)
Pour toutes ces raison, la bienveillance n’est pas une option pastorale. Non. La bienveillance, notre bienveillance, est une composante même du message évangélique.