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Représentation des genres au cinéma

Publié le 01 mars 2014 par Mari6s @mari6s

J’avais envie d’intituler cet article Le sexisme au cinéma ou quelque chose du genre, mais je crois que certaines personnes ont une vision du sexisme différente de la mienne, notamment mon cher frère avec qui j’ai régulièrement des désaccords philosophiques à ce sujet ;p. Parlons donc de représentation des genres pour éviter tout malentendu ; l’expression a de plus l’avantage d’être plus neutre alors que l’on considère souvent le sexisme comme allant dans un seul sens (les femmes en étant les victimes), ce qui n’a à mes yeux pas plus de sens que de considérer que le racisme anti-blanc n’existe pas, mais en tant que linguiste je suis consciente de l’importance des connotations qui finissent par faire partie du sens d’un terme. Si j’utilise le mot sexisme à un moment ou à un autre de cet article, convenons que je parle d’un système de stéréotypes qui divisent les rôles, capacités et comportements humains selon le genre des personnes, et des attitudes qui en découlent (notamment les discriminations conscientes ou non envers l’un des deux sexes).

Je veux donc discuter des genres au cinéma, une question à laquelle je suis particulièrement sensible depuis que j’ai entendu parler du test Bechdel (ou Bechdel-Wallace). Il s’agit d’une liste de 3 questions à se poser après avoir vu un film pour savoir s’il est sexiste. C’est un test par l’absurde, volontairement réducteur, et qui ne tient pas du tout compte de la qualité artistique des films. Le but est plutôt de démontrer qu’un grand nombre de films sont très centrés sur les hommes – pas étonnant quand on sait que la proportion de personnages féminins dans les films tourne autour de 30% et a diminué depuis 2008.

bechdel test.png

Voici donc les 3 questions :

* Y a-t-il au moins deux personnages féminins qui portent un nom (pas des figurantes) ?
* Ces deux femmes parlent-elles ensemble à un moment ou à un autre ?
* Et si oui, parlent-elles d’autre chose que d’un homme ?

Mettons cela en pratique avec Le Hobbit 2. Oups. Malgré l’ajout d’un personnage d’elfe guerrière et rebelle (Tauriel) qui n’existe pas dans les romans de Tolkien, ce qui est un bel effort (notamment de par son implication dans l’intrigue, puisqu’elle est le seul personnage d’elfe qui n’a pas envie de se terrer chez elle pendant que le mal progresse)… Le film échoue au test Bechdel dès la première question. Peut mieux faire, mais un bon point pour des efforts certains.

hobbit desolation of smaug legolas tauriel.jpg

Un autre exemple datant de 2012 : Total Recall avec Colin Farrell et Jessica Biel. On a deux personnages féminins « forts », au sens qu’elles sont douées pour se battre. Cela dit, leurs interactions (d’ailleurs plus physiques que verbales) tournent essentiellement autour du personnage de Colin Farrell, qui est « marié » à l’une (qui a en fait été placée dans sa vie pour le surveiller) et a une relation amoureuse avec l’autre. Un sur trois au test Bechdel donc. Selon mon frère, le personnage de Melina (Jessica Biel) est complètement inutile et il le retirerait volontiers du film ; quant à moi, je lui donnerais un rôle plus central puisqu’elle sert essentiellement à le guider jusqu’à la Résistance – et comme justification à son changement de camp, comme s’il ne pouvait pas avoir eu de crise de conscience tout seul.

Total recall.jpg

Mais certains films passent ce test haut la main, comme Hunger Games et Hunger Games – Catching Fire. J’avoue même que je me suis posé la question dans l’autre sens : les personnages masculins parlaient-ils entre eux d’autre chose que d’une femme ? Mais après vérification, c’est le cas même si cela représente peu de conversations et que Katniss joue indéniablement l’équivalent du rôle habituel du protagoniste masculin autour duquel le reste des personnages tournent, notamment au niveau des relations romantiques. Pour moi, ces films sont l’exemple parfait d’œuvres où la parité (et d’ailleurs la représentation de minorités ethniques) n’est pas une question de comptes d’apothicaire, mais un phénomène naturel parce que le scénario (ou dans ce cas, le roman) a été écrit en tenant compte de la diversité de la vraie vie.

katniss-hugs-prim-in-hunger-games-catching-fire-photo.jpg

En effet et pour généraliser, je ne suis pas de ces obsédés de la parité qui veulent absolument qu’on ajoute des personnages féminins pour satisfaire une égalité stricte. Cela ne me choque absolument pas qu’une fois de temps en temps, un film ne passe pas le Bechdel test à cause d’un contexte particulier (dans un film historique ou encore un univers de science-fiction où l’on justifie un rôle différent des femmes). Tout comme il est naturel qu’on ait une majorité d’acteurs blancs dans un film sur le Moyen-Âge en Europe, par exemple.

Mais ce qui est inquiétant, c’est la prépondérance de ces films d’un point de vue statistique, qui reflète une certaine orientation de l’industrie du cinéma. Et le problème, c’est que les représentations ne sont jamais QUE des représentations ; elles influencent les comportements en reflétant ce que les gens considèrent souvent comme la réalité. Inconsciemment, on se fonde sur ces représentations, d’autant plus qu’on y est exposé en permanence, entre publicités, séries télé, films et émissions ou magazines qui parlent de ces films et séries télé. Les plus vulnérables sont bien sûr les enfants, qui apprennent dès les contes de fée l’histoire de princesses passives sauvées par un prince. Mais aucun d’entre nous n’y est imperméable puisque l’omniprésence de ces représentations forme une certaine image de la « norme ».

Le troisième critère du test est important car dans la vraie vie, les femmes ne passent pas leur temps à parler des hommes, malgré ce que pensent certains. En une semaine de discussions quasi quotidiennes avec mes amies les plus proches dans mon école, il arrive que l’on n’aborde pas une seule fois les garçons, et lorsque nous en parlons, c’est plus souvent de membres de nos familles respectives ou de camarades de classe (particulièrement s’ils ont fait quelque chose de drôle ou d’énervant) que de (potentiels) amoureux. Et pourtant, selon l’American Association of University Women (AAUW), les personnages masculins de séries télé parlent plus de leur travail que les femmes (52 contre 40 %), qui parlent quant à elles plus de relations amoureuses (63 % contre 49 pour les hommes).

Éloignons-nous du test Bechdel et abordons un autre sujet : la représentation du corps de la femme. Ne parlons même pas des retouches photos dans les pubs et les magazines – cantonnons-nous au cinéma. Les acteurs sont le plus souvent représentés au meilleur de leur forme, ils doivent être agréables à regarder et tant pis pour le réalisme. Mais il y a à mes yeux une inégalité homme-femme à ce sujet, car les actrices en surpoids sont clairement moins nombreuses que les acteurs en surpoids – aussi mauvais que cela soit pour la santé, un certain nombre d’acteurs prend du poids avant un rôle, les femmes presque jamais ou alors juste pour ne pas paraître famélique. De plus, le maquillage omniprésent transmet une image irréaliste de l’apparence des femmes : le teint parfait dès le réveil, même blessées ou mourantes, jamais en sueur (seuls les hommes transpirent), les jambes et les aisselles toujours épilées (seuls les hommes ont des poils)… Bon, je généralise, il y a des contre-exemples, mais vous voyez l’idée.

Selon une étude de l’école de communication et de journalisme USC Annenberg (ici), en 2012, 31,6 % des personnages féminins de films portaient des vêtements qui ne laissent pas grand-chose à l’imagination, contre 7 % des personnages masculins ; 31 % des femmes étaient partiellement nues à un moment ou à un autre, contre 9,4 % des hommes. Plus les femmes sont jeunes, plus leur corps est sexualisé, et cela de plus en plus dans les dernières années. De plus, on compte moins de personnages d’âge moyen chez les femmes que chez les hommes (36,4 % des personnages masculins ont entre 40 et 64 ans, contre seulement 23 % des personnages féminins).

Si le sujet vous intéresse, je vous conseille de lire l’article de l’USC (en anglais) qui traite aussi du rôle des femmes dans l’industrie du cinéma en tant que scénaristes ou réalisatrices.

Quelques statistiques (en anglais) : www.missrepresentation.org/about-us/resources/gender-resources/

Et un site de notation des films d’après le test Bechdel : bechdeltest.com

Au cours de mes recherches pour cet article, j’ai aussi trouvé une page hilarante sur les clichés les plus courants dans les films, du sexe aux voyages en passant par les armes et la mort (encore une fois en anglais) : www.moviecliches.com


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