Je n’irai pas sur Mars. 200.000 actes de candidature auraient été déposés pour une croisière sans retour sur la planète rouge à l’invitation de l’homme d’affaire hollandais Bas Lansdorp. 1058 prétendants ont été avertis par courriel qu’ils étaient retenus. 198.942, au moins, resteront donc sur le tarmac. Sans aucun doute fort déçus de ne pouvoir participer à cette audacieuse fuite vers le monde sidéral. Les critères de sélection étaient sévères. Il fallait être beau, jeune, intelligent, aventureux sinon intrépide, discipliné et en bonne santé. Le rhumatisme qui affecte mon auriculaire gauche m’écartait d’emblée de l’élite. Peut-être, faute de mieux, m’aurait-on malgré tout inscrit sur une liste d’attente. Mais du fait de cette relative infirmité, j’entends évidement beaucoup moins bien de l’oreille gauche. Pour les sélectionneurs, j’aurais abordé le handicap rédhibitoire. Mais n’étant plus aussi jeune que je le souhaiterais, plus très beau non plus si je le fus jamais, beaucoup moins intelligent encore qu’on ne le croit et pas du tout discipliné, mes chances auraient été quasiment nulles. Je n’ai donc pas postulé et sauvé ainsi mon honneur. D’ailleurs je ne vois pas pourquoi j’aurais voulu partir. Certes notre brave planète n’a toujours pas retrouvé l’état de paradis qu’elle aurait jadis perdu. Mais on rapporte dans les annales que l’enfer serait plus terrible encore que ce qu’elle est devenue. Étant également d’un naturel curieux, je préfère attendre pour vérifier si ce que prétendent ces récits apocalyptiques n’est pas tout bonnement ourlé de fariboles. 1058 impétrants, donc, s’apprêtent à subir tout une série de tests à la fois rigoureux et draconiens. Combien seront, en fin de compte, inscrits sur la liste de l’élite des élites ? Les réelles intentions des organisateurs demeurent floues. Leur première préoccupation réside pour l’heure dans la collecte de fonds. Le coût total de l’opération avoisinerait les six milliards d’euros. On comprend qu’ils s’en soucient. Quoi qu’il en soit, les premiers départs ne devraient pas avoir lieu avant 2025 sinon 2030, si tout va bien. En donnant du temps au temps, celui de la réflexion aura ainsi tout loisir de s’approfondir. Hélas, son revers tout autant. Que décideront les planificateurs si les lauréats s’enlaidissent ? On sait déjà qu’ils auront vieilli, que les intrépides se seront assagis avec l’âge et les bien-portants embourgeoisés dans l’inaction de l’attente. Albert Einstein disait que le temps n’est qu’une conjugaison de l’espace et de la vitesse.Souhaitons que la lumière leur vienne à cette occasion ! D’ici là, un autre univers sidéral se sera ouvert devant nous. Là aussi, des listes se seront constituées. Des compétiteurs auront pris leurs marques, se seront positionnés, mésalliés ou divisés à coup de professions de foi vengeresses et de serments improbables. L’objectif de l’affaire sera pourtant encore moins raisonnable que celui de Bas Lansdorp. Envoyer pour 6 ans des équipes de démineurs conduire les 36767 communes de France. Là encore, les choix seront impitoyables. Ma rue est cabossée ? J’en désigne un autre. Mon gendre n’a pas été embauché dans les Services Techniques ? Je vote pour l’opposition. Ma belle-mère risque d’être adjointe à la culture ? Je m’abstiens. L’éventail est large de possibilités. Mais que fera-t-on des recalés ? Des rejetés dans l’anonymat ? Des écartés des honneurs ? Que fera-t-on surtout des non-réélus pour cause d’incompétence ou de simple désamour des électeurs ? Les exiler sur Mars serait tout de même une solution un peu violente ! Quoique… ! On voit par là combien, outre les bonnes intentions, l’organisation du monde est décidément pavée d’innombrables options.
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