A l’aide de cartes à puce, de spatules, chiffons et pinceaux, il compose à l’acrylique. Le sable, la cendre et le papier viennent chahuter la planéité pour créer un relief où les strates se succèdent. Il recouvre, maroufle jusqu’à la trace ultime. « Mon travail c’est comme un palimpseste qui ne préserve pas les couches. Je passe autant de temps à ajouter et à enlever, en juxtaposant, lavant, vaporisant ou grattant. »
L’élaboration d’une œuvre d’Alain Gegout peut s’échelonner sur plusieurs années. Un travail de longue haleine avec ses discontinuités et ses juxtapositions d'espaces temps effaçant tout repères. Le temps ne s’affiche pas. Il reste absent dans la représentation du réel, l’invisible se trouvant ainsi mieux suggéré.
L’artiste compose une variation autour d’une muse intemporelle, identifiée sous le nom de Flo ; héroïne générique, énigmatique, unique et multiple à la fois. Sa réalisation fictive se mêle à la fascination subjective pour rattacher l’icône à une perception plus intime.
Sa nudité sans fard est parfois accompagnée d’un voile. Sous la virtuosité du drapé, on décrypte une transparence diaphane de la peau, virginale. Innocente, évanescente, Flo est baignée dans un paysage couleur sang, comme prisonnière de l’espace-temps dicté par le flux d’un cycle menstruel. L’endomètre se désagrège pour redonner vie. Eros et Thanatos… La valeur intrinsèque de la couleur rouge ne se situe-t-elle pas entre la vie la mort ? « C’est l’irréfutable tragédie humaine. Le rouge est lié à mon optimisme convulsif, la passion, l’envie de vivre face à ce désespoir. »
Sous cette dominante ardente, l’œil absorbe tout et finit par considérer la beauté déstructurée et ses malformations comme normales. La muse-créature affiche une animalité qui s’accepte. Son image comme sa dignité ne sont jamais atteintes ou dénaturées. Rendue à l’état naturel dans sa déformation anatomique, elle s’affirme sculpturale, tel un menhir de chair. Lascive, lubrique, parfois indécente, elle nous donne l’impression d’assister à un moment fortuit. Flo éveille et remue notre émoi sensuel, dévoilant un côté spontané, jouissif. Un trait androgyne se dessine parfois sous une couche de l’épiderme. Cette imbrication mi homme mi femme, expérience presque hallucinogène d’apparition et de disparition, nous projette aux confins de l’érotisme, à la rencontre d’une étrangeté plus secrète. Elle s’illustre sans complexe, sous une nouvelle incarnation. Une image subliminale apparaît : celle d’un regard qui dure le temps d’un éblouissement. Caroline Canault.