Un héritage de famille.
Mon bisaïeul dont je porte le nom était un esthète, bien dans l'esprit de son temps. Secrétaire d'ambassade, il fut en poste à Madrid, puis à Rome, enfin à Constantinople d'où il revint à Paris en octobre 1867 comme attaché à la Direction politique (sous-direction du Midi et de l'Orient) au Quai d'Orsay, tout près des Invalides où il allait se marier avec la fille du général commandant l'Hôtel l'année suivante, à l'âge de 30 ans.
Ce jeune diplomate, alors célibataire, a séjourné plusieurs années en Espagne, en Italie et en Turquie avec un esprit de curiosité insatiable achetant au gré de ses déplacements des tableaux et des objets de toutes sortes, petits meubles, lampes, tapis, armes orientales, statuettes, pour se faire plaisir et qui sont comme des cadeaux légués à sa nombreuse descendance, sur quatre générations. A ma connaissance, mon aïeul n'a pas laissé d'écrits sur ses séjours (mais certainement des lettres à ses parents et amis car on avait la plume facile à cette époque), par contre il possédait un matériel assez volumineux de photographies à plaque qu'il utilisa à Rome et à Constantinople pour des photos en pose au format circa 24x30 cm.
Mon cadeau à moi, suite à son séjour en Italie, est un beau tableau peint à Naples en 1868 par César Auguste Detti qui allait ensuite faire une belle carrière à Rome puis a Paris, inondant le marché de l'art de scènes de genre au temps des Valois et des Bourbon, de Louis XIII et Louis XIV, des thèmes très appréciés et très vendeurs à l'époque.
Cette gouache, que j'intitulerais "L'aubade à la Vierge", représente deux pâtres en dévotion musicale, la tête découverte, devant une image pieuse à l'angle de deux rues à Naples. L'artiste avait alors 21 ans et terminait sa formation de peintre dans cette ville. La perspective des maisons est discutable mais les deux personnages sont saisis sur le vif et modelés avec un réalisme saisissant.
Le thème est original par sa valeur spirituelle et la modestie du sujet qui peut toucher aussi bien les riches que les pauvres. N'est-ce pas là le but à atteindre pour une œuvre artistique digne de ce nom ?
Il y a cinquante, il fallait être un acrobate du pinceau comme Picasso ou un illusionniste du mental comme Dali pour intéresser un public complètement déboussolé par les tendances avant-gardistes de l'époque. Aujourd'hui, alors que l'abstrait connait un réel recul, c'est la mascarade et le bricolage, pour ne pas dire la rigolade, qui ont droit de cité dans le monde des arts plastiques.
Pour ma part, je considère la peinture traditionnelle comme l'un des moyens les plus agréables et les plus beaux pour toucher la sensibilité de l'homme et exciter son imaginaire, par le rêve comme par la réflexion. Cette peinture de Detti, qui m'a été transmise par un ancêtre qui l'avait lui même choisi, n'est pas à l'origine de ma vocation artistique mais elle réunit tous les attraits d'une belle image qui a réellement un message à transmettre, sur le plan religieux comme sur celui de la vie sociale, deux bergers qui ne mendient pas mais qui prient devant une image sainte en s'aidant de leurs instruments de musique, leur outil de travail pour réunir le troupeau.
Voila ce que j'avais à vous dire comme introduction à la présentation et au décryptage de mes peintures symbolistes conçues dans cet esprit qui m'a été légué par le père de mon grand-père.
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour vous décrypter mon "Roméo et Juliette" peint en 1968.
Alain de Jenlis