Ils étaient assis tous les quatre dans le jardin du Luxembourg. Comme au bon vieux temps, ils jouaient à la belotte. D'abord, il y avait Walid. On aurait dit qu'il rentrait tout juste du Pérou avec son pantalon noir en toile fine et son sac tissé en bandoulière. En face de lui, caché derrière ses Ray-ban, Alex avait remonté son jean jusqu'aux genoux. Ses cheveux blonds lui tombaient sur le front comme il se penchait sur son jeu pour choisir une carte.
"Cadeau", fit-il en lançant un roi de coeur sur la chaise qui leur servait de table. Margot se mit à rire. Elle était accroupie, pieds nus dans les graviers. Levée depuis une demi-heure, elle ne cessait pas de bailler. Concentrée sur son carnet, Nitchioule notait les scores. Ses genoux étaient rouges d'avoir trop vu le soleil.
Au loin, ils entendaient les cris des lycéens qui manifestaient devant la Sorbonne. Neuf ans déjà que la petite bande avait passé le bac. Qui l'eut cru en les regardant jouer ? Leur vie s'était pourtant progressivement assombrie. C'était le temps où les mariages et les baptêmes s'alternaient avec les enterrements. C'était le temps où l'argent manquait, où l'alcool coulait. Ils ne savaient pas comment amorcer le grand virage. Alors, ils jouaient.
Tandis que dans leurs têtes, les pierres tombales brillaient.