Notes en chemin (107)
Ordre et désordre. - En marchant ce matin par les rues populaires de la médina, recommençant de m'imprégner de l'atmosphère de la rue arabe dans ce qu'elle a de plus naturellement chatoyant, le sentiment croissant de retrouver la bonne vieille humanité m'a rempli de reconnaissance alors qu'un soleil déjà printanier flamboyait au-dessus des pyramides d'oranges soigneusement érigées par les marchands; mais un peu plus loin en direction de la Kasba, à l'écart des étals bien tenus, les rues se muaient en véritable dépotoir où s'amoncelaient ordures et détritus laissés là depuis des jours à ce qu'il semblait. Or quelques chose m'a frappé dans ce contraste, qui me semblait dire quelque chose, mais quoi ?
Dans les souks, ensuite, et notamment dans le dédale alternant féerie de couleurs et retraits pénombreux, autour de la Grande Mosquée de la Zitouna, entre parfums et fripes, j'ai retrouvé avec bonheur cet univers des petites boutiques paraissant perpétuer leur commerce depuis des siècles, puis à quelques ruelles de là: des passages de traverses encombrés de sacs d'ordures que se disputaient chats faméliques et rats tenaces. Et qu'en dire ?
Troisième image: cette vaste décharge à ciel ouvert, juste à côté du building de trente étage de je ne sais quel établissement bancaire des Etats du Golfe, et là encore cette proximité d'une façade clinquante et d'un total laisser-aller m'a suggéré un début de réflexion. Quant à dire que je pourrais en tirer des conclusions liées à la nouvelle donne de la réalité tunisienne, je n'en sais trop rien.
Une espèce de hargne
La question de l'ordre et du désordre est bien plus intéressante qu'on ne pourrait croire. Autant que l'obsession du propre-en-ordre, bien connue des Suisses, peut relever de la névrose, autant il me semble pertinent de s'interroger sur ce que signifient des symptômes récurrents de désordre dont, par exemple, les rues de Tunis sont devenues le théâtre hallucinant à certaines heures.
Dès le dimanche soir de mon arrivée, mon ami Rafik m'avait averti: tu vas voir se déchaîner la meute ! Et
deux jours plus tard à peine, j'avais failli me faire écraser quatre fois (le piéton n'a plus droit à aucun égard), constaté que nombre de voitures de flics passaient au feu rouge et vu deux chauffeurs de taxi en venir aux mains après le léger accrochage qu'ils venaient de provoquer, forçant une dizaine d'autres conducteurs à s'en mêler dans un concert de klaxons furieux. C'est cela: quelque chose de furieux...
On connaît la circulation de Paris, de Rome ou de Naples: le crescendo est notable, mais le désordre hargneux de la circulation en ville de Tunis m'a semblé d'une autre nature: comme si sa fureur venait d'ailleurs.
L'attente de quelque chose
Ordures qui s'empilent: mauvais signe. Rivages pollués à outrance: pas très bon pour la saison touristique à venir si rien ne se fait. Rengaine des médias trois semaines seulement après l'entrée en fonction d'un nouveau gouvernement de compétence: mais que font-ils ?
La dernière fois que nous y étions avec Lady L., en juillet 2011, les discussions les plus animées se poursuivaient à n'en plus finir, pleines d'espérance en les lendemains qui chantent. Une Tunisie pariait pour un avenir meilleur. Si belles rues alors, si belles terrasses à Sidi Bou. Puis une autre Tunisie se laissa séduire par moult promesses et cadeaux, qui vota pour un parti totalitaire pseudo-religieux à visées putschistes, foncièrement incapable d'assurer le redressement économique du pays. Quittant le gouvernement, le redoutable Rached Ghannouchi a promis que son parti garderait le pouvoir par la rue. Hélas, il ne semble pas qu'Allah ait trouvé de dignes éboueurs pour entretenir les rues menant à Lui...
À lire: Adnan Limam. Ennahdha: ses cinq vérités. Phoenix éditions.
Spécialiste en droit public et en relations internationales, l'auteur, musulman modéré, analyse les tenants et aboutissants de la prise de pouvoir du parti "islamiste" de Rached Ghannouchi, selon lui émanation directe des Frères musulmans et se servant des salafistes comme fers de lance. Organisation transnationale d'essence putchiste, Ennahdha repose, selon Adnan Limam, sur une idéologie religieuse contraire au véritable islam, et aura, en réalité, servi le sionisme international et la politique américaine à seule fin de déstabiliser la Tunisie en quête de démocratie. À remarquer qu'après avoir soutenu le parti gagnant des élections de 2011, les Américains font aujourd'hui bon accueil au nouveau chef du gouvernement intérimaire...