Le pique-nique du dimanche

Publié le 09 mars 2014 par Corboland78

Comme le disait avec raison la casquette claire, « Heureusement qu’on ne comptait pas sur notre pêche, pour le repas ! » ce à quoi ne répondit rien la grosse aux épaules nues, trop occupée avec sa cuisse de poulet rôti. Les deux couples profitaient de ce merveilleux printemps pour s’offrir, comme presque chaque dimanche quand le temps le permettait, un petit pique-nique au bord de la Seine, non loin d’Argenteuil.

L’expédition dominicale ne tolérait aucune faute dans son organisation, car pour être réussie, rien ne devait manquer quand ils seraient sur place. L’auto était tout juste assez spacieuse pour que s’y entassent gens et matériel. Si Gino et son inséparable chapeau noir était du genre volumineux, sa femme et leurs amis n’étaient pas des maigrichons, autant dire que l’habitacle de la voiture affichait complet quand le moteur toussa avant de démarrer. « Heureusement qu’on n’a pas de chien, je ne sais pas où on le mettrait » déclara la casquette claire qui avait le chic pour toujours voir le bon côté des choses.

La femme du gros au chapeau, assise à l’avant pour lui indiquer la route avec sa carte Michelin pliée sur les genoux, profita des premiers kilomètres pour lister le contenu du coffre. Les nappes et couvertures pour s’installer confortablement sur l’herbe, la malle en osier avec la vaisselle, le saucisson, le poulet, le pain et le reste. « Je me suis occupé de la glacière » tonna d’un air entendu le gros au chapeau, auquel avec un ricanement de satisfaction, la casquette claire répondit « J’ai mis les cannes à pêche sur le toit ». Un soupir d’aise emplit la bagnole conforté par le couinement des amortisseurs durement éprouvés.

Arrivés sur place, ils constatèrent avec satisfaction que leur endroit préféré était libre. C’était la grande hantise de nos quatre piqueniqueurs, ce coin parfait déniché avec difficulté, leur semblait comme une place réservée, quasiment une propriété privée mais sans titre officiel à exhiber si par malheur un jour, des intrus s’en accaparaient. « Heureusement qu’on est partis de bonne heure » marmonna la casquette claire.

Après, comme tous les dimanches, le rituel fut répété. Ces dames étalèrent les nappes avec un peu de mal, gênées par leur embonpoint et le terrain en pente, tandis que les messieurs calaient leurs gaules dans une barque amarrée ici depuis toujours. Le panier aux victuailles déballé, la glacière aux bouteilles ouverte, on entama les choses sérieuses. Le gros au chapeau n’hésitait pas à se resservir en pinard, « Ca fera moins lourd dans le coffre au retour » aimait-il à répéter tandis que les dames minaudaient en grignotant leur pilon. « Heureusement que la voiture connait le chemin du retour ! » répondit en rigolant qui vous savez.

Photo Cartier-Bresson