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Amour des arbres et de la patrie.

Publié le 10 mars 2014 par Sebastienjunca

 

Le soleil est enfin là. Un avant-goût de printemps très attendu a fait se ruer les amoureux de la nature dans leur jardin. Il est encore temps de planter ce qui doit l’être.

Quand certains plantent des arbres dans leur pré carré, d’autres y plantent des drapeaux. C’est comme cela et il n’y a rien à y redire. Chacun est libre chez soi. Pourtant, c’est bien connu, même des plus maladroits jardiniers, les fruits que donnent les arbres ne sont en rien comparables à ceux des drapeaux, fussent-ils bleu blanc rouge et plantés là par simple amour de la patrie. Une patrie, il est vrai, chaque jour mise à mal par les incessantes attaques de la médiocrité, du fanatisme, du je-m’en-foutisme, du laxisme, de l’insécurité, du profit à tout prix, du mépris de la terre, du vol organisé jusqu’aux plus hauts sommets de l’état, … Mais aussi de la ruine progressive des institutions, de la déliquescence de la langue, de la mémoire collective et de la culture de manière générale, des communautarismes multiples, des intégrismes de toutes sortes et tout ce qu’une morale moralisatrice toute saturée de politiquement correct interdit d’exprimer.

Je ne suis pas contre l’affirmation de l’amour de la Nation. Comme les arbres, l’homme a besoin de racines, de mémoire, de références. Il faut savoir d’où on vient pour savoir qui on est et où on va. C’est un poncif, mais il a toujours cours. Je ne suis pas contre un certain patriotisme, toutefois mesuré. Pour autant, il est assez de fêtes nationales, de commémorations, d’hommages et d’anniversaires de toutes sortes pour se remémorer l’amour de la Nation et savoir d’où l’on vient. Les mairies, les gendarmeries, les casernes, les cimetières, les monuments aux morts et les institutions de manière générale sont par définition des lieux de référence où le patriotisme de bon aloi peut donner libre cours à son expression sans que le symbole n’en devienne pour autant galvaudé. Mais de là à ce que chaque « Français et fier de l’être » plante un drapeau dans son jardin, voila un pas que je ne saurais franchir. Car ces arbres aux fleurs tricolores que l’on nomme drapeaux, bannières, étendards, pavillons ou oriflammes donnent des fruits parfois très amers selon l’époque.

S’en référer de manière ostentatoire au drapeau national en période de paix peut avoir un effet parfois à l’opposé de ce que l’on espère. Et si les maux dont souffre la Nation font se retourner certains vers les symboles les plus faciles, cela revient à poser un coter sur une jambe de bois. Hormis dans les stades, sur les Champs Elysée le 14 juillet ou le 11 novembre ; agiter des drapeaux n’a jamais rien augurer de bon. L’amour de son pays ne se résume pas à la vénération d’un simple bout d’étoffe qui n’est qu’un symbole. Or, la force des symboles dépend autant des circonstances, du contexte comme de celui qui s’y réfère. Le drapeau national entre les mains d’un membre du Front National n’a évidemment pas la même signification qu’entre les mains d’un supporter de l’équipe de France ou d’un ancien combattant. Plus forts que le langage lui-même dont ils sont des concentrés, les symboles sont à utiliser avec précaution et parcimonie. On ne chante pas la Marseillaise partout et en toutes circonstances.

A une époque, certes troublée, où l’identité nationale suscite les passions ; à une époque où laïcité et démocratie finissent au quotidien par être vécues comme antagonistes, qu’est-ce en vérité qu’être Français ? Au-delà des discours sur les droits du sol, les liens du sang, l’immigration, le regroupement familial, la possession de documents officiels… l’appartenance à une nation relève à mon sens des mêmes critères que ceux qui définissent l’appartenance réciproque d’une terre, d’un animal ou même de deux êtres humains dans la relation amicale ou amoureuse qui les unis. Or, l’on est pleinement propriétaire d’une terre – du moins peut on en revendiquer le droit – qu’à partir du moment où on l’a travaille, nous dit Proudhon. Mais attention ! Les peuples premiers, disparus ou encore de ce monde, n’étaient pas tous, loin s’en faut, des peuples sédentaires adeptes de l’agriculture ou de l’élevage. Pour autant, la mutuelle appartenance qui les liait à leur terre ancestrale n’est pas à mettre en doute. On peut vivre d’une terre et tisser des liens indéfectibles avec elle sans pour autant la cultiver. « Vous me demandez de couper l’herbe, dit un chef indien, de la faner et de devenir riche comme les hommes blancs. Allons, comment oserai-je couper les cheveux de ma mère ? Vous me demandez de creuser pour chercher la pierre. Dois-je aller sous sa peau chercher les os ? Mais quand je mourrai, dans quel corps pourrai-je me reposer ? »

Les tribus de chasseurs/pêcheurs/cueilleurs de tous horizons confondus en sont les plus beaux exemples. Intimement liés à leur environnement. A tel point que chaque parcelle de terre, chaque ruisseau, chaque arbre ou même chaque pierre recouvraient et recouvrent encore aujourd’hui un sens profond enraciné au fond de leur âme comme au fond de leur chair. La communauté Inuit décrite par Jean Malaurie dans son œuvre majeure est : « […] un véritable ordinateur, en osmose avec l’environnement [qui] a collecté et collecte, [qui] a interprété et interprète les milliers de données sur l’air, la glace, la pierre, la faune que, chaque année, les chasseurs et leurs femmes se transmettent. »

La communication, les échanges, l’expérience, le vécu, la mémoire du corps comme de l’esprit façonnent l’attachement à un être, à une terre, à une nation. Etre Français, comme être Tibétain ou Inuit, c’est avant tout partager une langue, autrement dit une culture et une mémoire communes. La langue est, loin devant toutes les formes d’officialisation, de reconnaissance ou d’authentification, la principale porte d’accès à une culture et donc à un monde particulier ; unique. Pour la plupart des peuples premiers, les paroles ont un pouvoir. Le langage conditionne une vision du monde et par suite une perception qui lui est propre. Parler une langue, partager une culture, une histoire, des expériences, un mode de vie, donne accès à la nationalité véritable. Une nationalité vécue et n’on pas une nationalité d’emprunt, tronquée et falsifiée. Une nationalité enfin qui témoigne de l’appartenance à une terre et du partage de valeurs communes à travers un engagement, un contrat tout d’abord moral appelé à devenir contrat social.

Parler, c’est tisser des liens ; c’est construire un monde. Mais plus que tout, c’est, par l’appropriation d’un certain environnement, partager un style de vie à nul autre pareil dans une identité de vue et de perception. Car l’identité nationale est surtout une identité de perception entretenue par des valeurs communes, une façon à soi d’être au monde par la langue mais aussi les rituels, les habitudes alimentaires et tous les comportements sociaux que l’ethnologie et la sociologie ont progressivement mis au jour.

Un pays, une nation, c’est avant tout et après tout une idée et rien de plus. Elle peut s’étendre au-delà des frontières existantes ou refluer en deçà. Les colonisations successives l’ont démontré de la pire façon. Pour seul exemple, quid des liens du sang qui unissent les Blancs de métropole aux Créoles des îles de la Caraïbe ? Le seul lien que nous partagions, avant que nos familles s’unissent, était celui du sang versé qui maculait nos mains si blanches. Ce sang généreusement répandu par l’ignominie esclavagiste. Une idée, là aussi, qui affirmait la supériorité de la race blanche. Aujourd’hui pourtant, au-delà du repentir et du pardon, les créoles Antillais sont autant Français que les Vandales, les Suèves, les Alains, les Alamans, les Francs, les Gaulois issus des Celtes… tous, ayant contribué à forger le royaume de France.

Planter un arbre ; cultiver son champ, son jardin, des relations de bon voisinage, l’amitié ou l’amour sont les signes incontestables d’un réel amour de la patrie. Tisser des liens a toujours contribué à forger des nations. Davantage que tisser des bannières ou des étendards. Quand le tissus social se déchire, il n’est pas de meilleur remède que de s’en remettre aux valeurs fondamentales et fondatrices : le sens de la terre, le sens de la vie, de l’amour ou de l’amitié. Il est des étrangers, immigrés, qui ont plus contribué à forger la Nation que bien d’autres Français « de souche » qui, par leur vie et leurs actes, ont contribué au fil des décennies à défaire le lien social; et jusqu'aux plus hauts sommets de l'Etat. Ouvriers, artistes, chercheurs, enseignants… tous immigrés, ont aidé dans une large mesure à enrichir, parfois même de leur sang, la mémoire affective et collective qui fait l’unité, l'identité et la grandeur d’un pays. Le Français n’est pas toujours celui qu’on croit.

Sébastien Junca

 

 

 

 

[1]    Teri MacLuhan, Pieds nus sur la terre sacrée, Paris, Albin Michel, 1980.

[2]    Jean Malaurie, Hummocks, tome 1, Livre I, Terre Humaine Poche, Plon 1999, p. 152.


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