Le grand lièvre féroce

Publié le 04 novembre 2013 par Anna Coquelicot

Perché sur une branche, Pioupiou chante à tue-tête. Plutôt, l’oiseau a mangé de bon appétit. Son ventre est repu. Le soleil chauffe agréablement ses plumes. Bref, Pioupiou est un rouge-gorge heureux.

Soudain un ronflement perturbe ses vocalises. Pioupiou baisse les yeux et découvre un loup. L’animal dort au pied de l’arbre.

L’oiseau est surpris. Il laisse échapper un piaillement strident. Le loup ouvre un œil.

« Zut, zut et zut! pense Pioupiou. J’ai attiré l’attention d’un loup! »

- Ne t’avise pas de toucher la moindre de mes plumes! menace-t-il aussitôt. Sache que j’ai des relations…

- Qu’est-ce que tu racontes? coupe le loup mal réveillé.

- Tu connais Gibus? C’est le plus gros rat de la forêt…

Le loup acquiesce :

- Seulement de vue…

- Gibus et moi, nous avons combattu ensembles les flammes lors du grand incendie. Ça crée des liens! Autant te dire qu’il me considère comme son frère, désormais. Alors si tu oses me confondre avec ton déjeuner, Gibus te réduira en chair à pâté!

- Mais… mais, je suis innocent, bégaye le loup. Je ne te veux aucun mal!

Pioupiou n’écoute pas les protestations. Pour faire bonne mesure, il ajoute :

- D’ailleurs, Gibus te cherche déjà!

Sur ces mots, le rouge-gorge disparaît à tire-d’aile.

Malgré sa belle assurance, Pioupiou est encore tout chamboulé.

« Au loup! Au loup! » piaille-t-il à la ronde.

Ses cris alertent un lièvre qui hésite à poursuivre son chemin.

- Tu fonces en direction d’un énorme loup! prévient le rouge-gorge. Moi-même, j’ai réussi à lui échapper, mais de justesse!

Le lièvre n’a pas l’air convaincu.

- Je dis ça pour te rendre service! souligne Pioupiou.

- Le loup t’a surpris dans ton sommeil? demande le lièvre.

- Tu plaisantes? Je suis un honorable rouge-gorge, moi, monsieur! Je dors seulement la nuit… Et le jour, je chante!

Ne connaissant rien au code d’honneur des rouges-gorges, le lièvre s’abstient de toutes réflexions.

L’oiseau continue :

- J’étais tranquillement installé sur une branche. Je donnais un petit concert quand un grognement m’a interrompu. J’ai regardé quelques mètres plus bas… Alors j’ai vu la bête sanguinaire. Elle guettait ses proies avec une lueur cruelle au fond des yeux…

Le lièvre hausse les épaules.

- Tu n’avais qu’à battre des ailes! Un loup ne risque pas de te suivre dans le ciel…

- C’est vrai, reconnaît Pioupiou. Les loup ne volent pas… Mais celui-ci sautait très haut!

L’oiseau virevolte autours du lièvre avec curiosité.

- Nous n’avons pas été présentés. Je m’appelle Pioupiou. Et toi?

- Je suis le lièvre Coquelicot, messager de son état.

Pioupiou prend un air soupçonneux :

- Toi? Un messager? Je croyais que le métier était réservé aux pigeons! Comment fais-tu pour livrer les messages à temps? Tu ne sais même pas voler!

- Je cours vite! rétorque le lièvre.Mes pattes me propulsent à quatre-vingt-dix kilomètres par heure!

- Hum… Pas encore assez rapide pour échapper au loup, estime Pioupiou. Je te conseille de faire un détour.

 ……

Après une hésitation, le lièvre Coquelicot décide de continuer son chemin. Il avance prudemment.

«Comme si les haricots ne suffisaient pas, voici un loup sauteur, maintenant ! Et puis quoi encore? pense-t-il. Cet oiseau m’a l’air d’être un sacré menteur! D’un autre côté, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre… »

Un gémissement attire son attention. Le bruit provient d’un buisson.

« Il y a quelqu’un? »

Pas de réponse… Et si le rouge-gorge avait dit la vérité? Serait-ce un animal blessé? Par le loup, peut-être…

Le lièvre approche. Quelque chose bouge dans l’ombre du fourré… des yeux brillants… un pelage hirsute… Le lièvre recule d’un bond! C’est le loup, en personne!

- Chut! Je me cache! Tu vas me faire repérer… chuchote ce dernier.

Il se recroqueville et ajoute :

- Surtout, si tu croises un rat, ne lui dis pas que tu m’as vu!

Le lièvre est si étonné qu’il ne cherche même pas à fuir.

- Tu as peur d’un rat?

Le loup acquiesce d’un mouvement de museau misérable.

- Oui, j’ai peur d’un rat, avoue-t-il. Mais pas de n’importe quel rat! J’ai peur de Gibus! Il veut me réduire en chair à pâté… Si tu voyais ses dents : très longues, très jaunes et très sales! Il suffirait d’une petite morsure pour qu’il me transmette une maladie. Je suis vieux et malade. Je n’ai plus la force de chasser…. de toute façon, j’ai perdu l’appétit. Je suis si faible que le premier microbe venu pourrait me tuer!

- En parlant de quenottes, Les tiennes me paraissent, elles aussi, longues, jaunes et pas vraiment propres… Vas-y, ouvre la bouche…

Le loup fait Aahhh…

- Maintenant, retrousse les babines… grogne un coup… Terrifiant! s’enthousiasme le lièvre. Si tu montres pareille dentition à Gibus, il se sauvera sans demander son reste!

- J’ai mal au dents… pleurniche le loup.

Son camarade perd patience :

- Enfin, quoi! Un peu de nerf! Tu es un prédateur, oui ou non? Tu es capable de te défendre tout seul!

Pour unique réponse, le loup ravale un sanglot.

- Non, ne pleure pas, soupire le lièvre. J’ai une idée! Je vais te montrer une ou deux prises de karaté. Tu pourras t’en servir si le rat s’avise de t’embêter. Tiens! Regarde celle-ci!

Il prend appui et boxe l’air avec ses pattes arrières.

« Pif paf! Dans le nez! »

- Impressionnant! commente le loup en reniflant.

Le lièvre regarde le ciel. Le soleil commence à décliner.

- Je dois te laisser. Une longue route m’attend encore.

De l’oreille, il fait un petit signe amical au loup. Puis le lièvre Coquelicot disparaît parmi les bois. Le vieil animal reste seul et angoissé.

« Qu’est-ce que j’ai bien pu faire à cet oiseau et à son copain rat? Pourquoi m’en veulent-ils autant? Et où sont-ils, en ce moment? Est-ce qu’ils me cherchent? »

 ……

Loin de mener une battue au loup, Pioupiou rentre chez lui. Un gros rat montre le bout de son nez. Le rat niche entre les racines de l’arbre où le rouge-gorge a construit son nid.

- Bonsoir voisin! s’exclame Pioupiou. Comment vas-tu?

- Et toi? demande poliment Gibus.

L’oiseau n’attend que cette question. Il est ravi de pouvoir raconter ses aventures.

- J’ai eu une de ces journée! J’ai rencontré un loup! Tu aurais vu sa gueule : large comme un tronc d’arbre!

Le rat écoute Pioupiou d’une oreille distraite.

« Quel vantard, cet oiseau! »songe-t-il.

En plus, c’est un voisin pénible. Dès l’aurore, le rouge-gorge piaille et réveille tout le quartier!

Pioupiou continue :

- J’ai aussi rencontré un lièvre capable de courir à cent cinquante kilomètres par heure… Enfin, à ce qu’il prétend…

- La forêt est pleine de lièvres qui courent vite, commente Gibus.

Devant tant d’indifférence, Pioupiou se sent obligé d’ajouter quelques détails marquants.

- Je t’assure, il s’agissait d’un lièvre très particulier… En fait, il avait un drôle d’air… presque aussi féroce que celui du loup…

Le rat préfère abréger la conversation :

- Bon, ben… salut! Je dois y aller… Je suis invité à dîner chez ma cousine.

Gibus est soulagé d’échapper au bavardage de l’oiseau. Il chemine d’un pas léger.

Le rat cueille une fleur par-ci, glane une graine par-là. Il aperçoit un buisson couvert de baies rouges. Les enfants de sa cousine adorent grignoter ce genre de friandises!

Gibus tend sa patte vers une baie qui lui échappe. Feuilles et branchages s’agitent. Une tête de loup surgit du buisson.

L’animal pousse un terrible grognement.

- Prend garde à ton nez!

- Mon.. mon nez? bégaye Gibus.

« Raté! pense le loup. J’aurais dû menacer de le croquer! Maintenant, je passe pour un idiot! »

Il essaie d’expliquer sans perdre la face :

- Tu as bien entendu! Pif paf! Dans le nez! C’est une prise secrète que m’a enseignée un lièvre expert en karaté! Car j’ai appris à me battre, moi, mon petit bonhomme!

Gibus hurle et détale aussi vite que ses petites pattes le lui permettent.

Il arrive tout tremblant chez sa cousine.

- J’ai croisé un loup!

- Pauvre Gibus! compatit la cousine.

- J’ai eu la peur de ma vie! continue le rat. Je n’ai pas très bien compris ce qu’il disait… Il a parlé de mon nez… et d’un lièvre champion de karaté…

- Non content d’être un loup, cet animal m’a l’air complètement maboul!

- Attends! L’histoire ne s’arrête pas là! Tu connais mon voisin? Tu sais, ce rouge-gorge insupportable… Il raconte pareillement qu’un lièvre féroce hante les bois… Je ne sais plus que croire!

La cousine fronce les sourcils, peu convaincue.

- On dirait une histoire pour effrayer les enfants!

Et depuis ce jour, dans la forêt, quand un enfant désobéit, on lui dit :

« Attention! Si tu n’es pas sage, le grand lièvre féroce viendra te botter les fesses! »

FIN

Par Anna Coquelicot pour COQUELICOT ET COMPAGNIE


Classé dans:histoire courte