Magazine Journal intime

Monstrueuse…

Publié le 15 mars 2014 par Anaïs Valente

Jeudi.

Paris.

17 heures et quelques, près de 18 heures sans doute.

La journée s’achève, je vais bientôt reprendre mon train.  Je suis épuisée, une vraie loque, d’avoir marché, crié, marché, crié, mais c’est une autre histoire que je vous conterai en détails lorsque j’aurai récupéré ma carte mémoire et les photos, car une histoire, c’est bien, une histoire avec photos, c’est mieux.

Le métro me jette gare du Nord

Deux heures à tuer.

Je meurs de soif.  Et un peu de faim.

Direction le Quick, histoire de me replonger d’ores et déjà dans une ambiance à la belge, une fois.

Bonheur intense, le Quick de Paris propose un menu junior giant à 4 eur, mayo comprise. Prenez-en de la graine en Belgique, je veux aussi un menu junior giant à 4 eur, mayo comprise.

Je me fais dépasser par un grand black à l’allure patibulaire, qui finalement ignore quoi commander et tergiverse avec son billet de 5 eur.  Je n’ose moufter, ignorant si les grands blacks de la gare du Nord sont des délinquants en puissance, mais j’aime pas son attitude à la noix. Et la serveuse du Quick non plus, qui lui dit « vous étiez pas le premier », puis se tait, de toute façon c’est peine perdue. Et j’ai deux heures à tuer alors…

Je commande mon menu junior giant en m’extasiant sur la gratuité de la mayo, ce qui fait plaisir à la serveuse, hyper sympa (qui a dit que les parisiens ne l’étaient pas ?).

Je monte et m’installe dans un coin, où je dévore mon menu en dévorant N’éteins pas la lumière, le dernier Bernard Minier, fabuleusement fabuleux.  Je siffle mon coca light comme une assoiffée. Je déguste mes frites et ma mayo (gratuite, vous le saviez ? ah ah ah)

18 heures 15, j’ai fini, mais je décide de rester au Quick, peinardement assise, afin d’éviter l’effervescence de la gare, pire qu’un Efferalgan.  Besoin de quiétude. Contre-coup de ces heures riches en émotion (récit bientôt bientôt, vous impatientez pas).

Et puis la voilà.

Une bonne soixantaine.  Cheveux gris. Collier de grosses perles en plastique.  Manteau et sac rempli de choses indéfinissables.

Elle s’approche et me demande « bonjour, vous auriez un euro pour manger ? »

Et moi, en réflexe « non ».  D’une voix sèche.  Regard sec. Air sec.

Et elle s’en va, continue à déambuler de table en table, quémandant son euro.

Et moi de penser « y a-t-il des gens qui vont donner ? »

Et puis d’un coup, je suis envahie par la honte. La honte de mon indifférence. De cette indifférence dont je fais preuve depuis très longtemps, tant les mendiants et les sdf font partie des meubles désormais, tant le « non » est désormais irréfléchi.

Je me sens monstrueuse.  Pourquoi j’ai pas donné un euro ?  Pourquoi cette gentille petite dame n’a pas réussi à atteindre mon cœur ?  Un monstre, ouais, je suis un monstre.  Dans ma ville, je ne donne plus, passqu’il y a les réseaux, passque les estropiés ça m’énerve, passque les mendiants ont des shar pei et que ça pue l’arnaque, passque j’ai toutes les bonnes raisons de pas donner, passqu’ils ont qu’à bosser et puis merde. Monstreuse, je suis monstrueuse, indifférente à ce qui m’entoure, à cette misère, à cette dame, même pas foutue de lui dire non d’un sourire, c’est mieux non, dire non d’un sourire…

Oui,  là quand même, cette petite dame, et mon attitude, mon non si désagréable, me suis sentie un monstre, une abomination sans cœur, qui vient de manifester, de ressentir tant d’amour, de solidarité, de rires, de larmes, de joie, et puis qui retombe dans son égoïsme en moins de temps qu’il ne faut pour le penser.

Toutes ces pensées m’ont assaillie en quelques secondes, le temps de fouiller à la recherche de cet euro qui peut tout changer.  Qui ne changera rien au monde, en soi, mais qui me prouvera que non, je ne suis pas monstrueuse, du moins pas à ce moment là, à cette minute là. Pas toujours. Pas tout le temps.

Et quand elle est repassée, j’ai dit « attendez je vais vous donner un euro ».

Et son sourire, sa joie, ben ça valait bien un euro.

En fait je sais pas si elle avait vraiment besoin d’un euro.

Elle avait surtout besoin de causer, la petite madame.

Passqu’elle s’est illico assise en face de moi. Bon j’avoue que ça m’a horripilée, car j’étais en pleine lecture de mon thriller, et puis je me suis dit que c’était cool finalement, de parler avec une mendiante parisienne dans un Quick, ça n’arrive pas tous les jours.

Alors j’ai fermé ma liseuse, et j’ai causé.

De la vie en France, de son statut de travailleuse non déclarée qui fait que maintenant, cinquante ans plus tard, elle est fauchée.

De mon joli gilet jaune, justifié par la manif dont je revenais.

Du JT qu’elle allait regarder pour tenter de me voir.

Et de plein de sujets soporifiques, la société actuelle ma bonne dame, la galère ma bonne dame.

Mais elle était gentille, m’a dit que j’avais une jolie blouse, et une jolie bague aussi. Elle était contente de faire causette la Madame.

Après dix minutes, j’ai déclaré forfait et j’ai dit que mon train m’attendait, bien que j’eusse pu rester encore une demi heure, mais j’étais fatiguée, besoin de me poser en silence, sans parler des misères de notre société, besoin d’aller me chercher un Orangina light glacé, le coca light n’ayant pas suffi à apaiser ma soif, besoin de m’offrir des caramels mous au beurre salé dans une jolie boîte rose tour eiffel, besoin de lire, assise sur ce siège gentiment offert par un grand black sympa « assieds-toi Madame, assieds-toi ». Besoin de fermer mes yeux piquants et de dormir…

 Petite photo souvenir de cette journée…

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Jeudi.

Paris.

17 heures et quelques, près de 18 heures sans doute.

La journée s’achève, je vais bientôt reprendre mon train.  Je suis épuisée, une vraie loque, d’avoir marché, crié, marché, crié, mais c’est une autre histoire que je vous conterai en détails lorsque j’aurai récupéré ma carte mémoire et les photos, car une histoire, c’est bien, une histoire avec photos, c’est mieux.

Le métro me jette gare du Nord. 

Deux heures à tuer.

Je meurs de soif.  Et un peu de faim.

Direction le Quick, histoire de me replonger d’ores et déjà dans une ambiance à la belge, une fois.

Bonheur intense, le Quick de Paris propose un menu junior giant à 4 eur, mayo comprise. Prenez-en de la graine en Belgique, je veux aussi un menu junior giant à 4 eur, mayo comprise.

Je me fais dépasser par un grand black à l’allure patibulaire, qui finalement ignore quoi commander et tergiverse avec son billet de 5 eur.  Je n’ose moufter, ignorant si les grands blacks de la gare du Nord sont des délinquants en puissance, mais j’aime pas son attitude à la noix. Et la serveuse du Quick non plus, qui lui dit « vous étiez pas le premier », puis se tait, de toute façon c’est peine perdue. Et j’ai deux heures à tuer alors…

Je commande mon menu junior giant en m’extasiant sur la gratuité de la mayo, ce qui fait plaisir à la serveuse, hyper sympa (qui a dit que les parisiens ne l’étaient pas ?).

Je monte et m’installe dans un coin, où je dévore mon menu en dévorant N’éteins pas la lumière, le dernier Bernard Minier, fabuleusement fabuleux.  Je siffle mon coca light comme une assoiffée. Je déguste mes frites et ma mayo (gratuite, vous le saviez ? ah ah ah)

18 heures 15, j’ai fini, mais je décide de rester au Quick, peinardement assise, afin d’éviter l’effervescence de la gare, pire qu’un Efferalgan.  Besoin de quiétude. Contre-coup de ces heures riches en émotion (récit bientôt bientôt, vous impatientez pas).

Et puis la voilà.

Une bonne soixantaine.  Cheveux gris. Collier de grosses perles en plastique.  Manteau et sac rempli de choses indéfinissables.

Elle s’approche et me demande « bonjour, vous auriez un euro pour manger ? »

Et moi, en réflexe « non ».  D’une voix sèche.  Regard sec. Air sec.

Et elle s’en va, continue à déambuler de table en table, quémandant son euro.

Et moi de penser « y a-t-il des gens qui vont donner ? »

Et puis d’un coup, je suis envahie par la honte. La honte de mon indifférence. De cette indifférence dont je fais preuve depuis très longtemps, tant les mendiants et les sdf font partie des meubles désormais, tant le « non » est désormais irréfléchi.

Je me sens monstrueuse.  Pourquoi j’ai pas donné un euro ?  Pourquoi cette gentille petite dame n’a pas réussi à atteindre mon cœur ?  Un monstre, ouais, je suis un monstre.  Dans ma ville, je ne donne plus, passqu’il y a les réseaux, passque les estropiés ça m’énerve, passque les mendiants ont des shar pei et que ça pue l’arnaque, passque j’ai toutes les bonnes raisons de pas donner, passqu’ils ont qu’à bosser et puis merde. Monstreuse, je suis monstrueuse, indifférente à ce qui m’entoure, à cette misère, à cette dame, même pas foutue de lui dire non d’un sourire, c’est mieux non, dire non d’un sourire…

Oui,  là quand même, cette petite dame, et mon attitude, mon non si désagréable, me suis sentie un monstre, une abomination sans cœur, qui vient de manifester, de ressentir tant d’amour, de solidarité, de rires, de larmes, de joie, et puis qui retombe dans son égoïsme en moins de temps qu’il ne faut pour le penser.

Toutes ces pensées m’ont assaillie en quelques secondes, le temps de fouiller à la recherche de cet euro qui peut tout changer.  Qui ne changera rien au monde, en soi, mais qui me prouvera que non, je ne suis pas monstrueuse, du moins pas à ce moment là, à cette minute là. Pas toujours. Pas tout le temps.

Et quand elle est repassée, j’ai dit « attendez je vais vous donner un euro ».

Et son sourire, sa joie, ben ça valait bien un euro.

En fait je sais pas si elle avait vraiment besoin d’un euro.

Elle avait surtout besoin de causer, la petite madame.

Passqu’elle s’est illico assise en face de moi. Bon j’avoue que ça m’a horripilée, car j’étais en pleine lecture de mon thriller, et puis je me suis dit que c’était cool finalement, de parler avec une mendiante parisienne dans un Quick, ça n’arrive pas tous les jours.

Alors j’ai fermé ma liseuse, et j’ai causé.

De la vie en France, de son statut de travailleuse non déclarée qui fait que maintenant, cinquante ans plus tard, elle est fauchée.

De mon joli gilet jaune, justifié par la manif dont je revenais.

Du JT qu’elle allait regarder pour tenter de me voir.

Et de plein de sujets soporifiques, la société actuelle ma bonne dame, la galère ma bonne dame.

Mais elle était gentille, m’a dit que j’avais une jolie blouse, et une jolie bague aussi. Elle était contente de faire causette la Madame.

Après dix minutes, j’ai déclaré forfait et j’ai dit que mon train m’attendait, bien que j’eusse pu rester encore une demi heure, mais j’étais fatiguée, besoin de me poser en silence, sans parler des misères de notre société, besoin d’aller me chercher un Orangina light glacé, le coca light n’ayant pas suffi à apaiser ma soif, besoin de m’offrir des caramels mous au beurre salé dans une jolie boîte rose tour eiffel, besoin de lire, assise sur ce siège gentiment offert par un grand black sympa « assieds-toi Madame, assieds-toi ». Besoin de fermer mes yeux piquants et de dormir…

 Petite photo souvenir de cette journée…

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