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Le petit Robert

Publié le 18 mars 2014 par Corboland78

Dans cette rue du vieux Paris, tout le monde connaissait le petit Robert. Sa bouille rieuse et espiègle, ses culottes courtes et son pull en laine râpé aux coudes, usé au col, taché ici ou là du jus d’un fruit ou de cambouis, en faisaient une de ces silhouettes familières qu’on aime à croiser car elle confirme au passant qu’il est rentré dans son quartier, qu’il est chez lui.

Si le fils s’attirait la sympathie de tous, nous n’en dirons pas autant du père, le grand Robert. Ouvrier au chômage, on ne lui connaissait que des histoires de bagarres et de mauvais voisinage, une forte tête et une grande gueule, viré de toutes les boîtes où il avait trouvé un boulot subalterne. S’isolant des autres chaque jour un peu plus, du troquet où il avait ses habitudes il avait même été exclu par un patron bienveillant au début mais qui n’en pouvait plus de supporter ses esclandres importunant ses autres clients et d’une ardoise qui s’allongeait à l’infini.

Pourtant il n’en avait pas toujours été ainsi, au contraire même. Mais ça, c’était avant. Avant que sa femme ne le quitte, le seul amour de sa vie dont le petit Robert restait la trace vivante. A une époque pas si lointaine, quand le grand Robert et la rousse sculpturale pendue à son bras, traversaient le carrefour de la rue de la Convention, tout le monde se retournait sur leur passage avec admiration, envie ou jalousie. A trop attirer les regards, la rousse devint la cible des conversations du quartier, attisant les convoitises adultères.

A qui la faute, je ne m’avancerais pas, trop récent dans le quartier pour avoir une opinion. Certains penchent pour la légèreté de la femme, d’autres pour l’aveuglement du mari mais tous confirment qu’un soir elle n’est pas rentrée au logis, partie selon la rumeur avec un jeune représentant de commerce en bas de soie qui écumait les immeubles depuis une dizaine de jours. Ce jour-là, les deux Robert au balcon, firent peine à voir, l’un appelant sa femme, l’autre sa mère, en vain.

Depuis, le grand reste terré chez lui à picoler toute la journée et c’est le petit qui s’occupe du ravitaillement. Deux fois par jour, matin et soir, avant et après l’école, il court chez un bougnat complaisant, faire remplir ses bouteilles d’un vin âpre et vulgaire mais qui ne coûte pas cher et rentre chez lui, fier comme Artaban, un litron sous chaque bras.

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Photo : Cartier-Bresson 


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