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Puis enfin la nuit prendra ses droits

Publié le 20 mars 2014 par Mentalo @lafillementalo

La nuit est tombée depuis quelques heures. La lune est rouge ce soir et le renard près du ruisseau reste en arrêt un peu plus longtemps qu’à l’accoutumée dans mes phares avant de plonger derrière un buisson. Coucou Goupil, tu es très mauvais au jeu de cache-cache, tes yeux brillent dans la nuit à travers les branches encore sans feuilles.

Je continue mon chemin au ralenti, au village la nuit même les sonnettes de vélo c’est interdit. Enfin, c’est ce qu’on dit, un peu pour rire, quand les nouveaux voisins font trop de bruit.

C’est drôle un village, la nuit. Rien ne bouge en apparence, mais tout le monde sait qu’on se méfie de l’eau qui dort, surtout celle des ruisseaux de campagne. Au premier étage de la ferme, filtre un rayon de lumière rose, en prêtant l’oreille on entend un bébé crier sa faim. Une silhouette furtive soudain, tennis aux pieds, tracts à la main, saute de boîte en boîte. Je l’ai reconnue mais ne dirai rien, les élections sont dans cinq jours, les coups en douce vont bon train.

Lumières bleues et changeantes au plafond, là on regarde la télévision. J’aime les maisons anciennes dont les volets laissent passer le jour comme autant d’indiscrétions, j’aime imaginer la vie des autres quand ils laissent tomber le masque de la journée. Les maisons où l’on termine en hâte un devoir, signe un cahier en hochant un peu la tête, où l’on presse les enfants, pipi et les dents il est tard déjà demain c’est l’école. Le calme enfin revenu en même temps que l’obscurité cache les misères mais pas la solitude, derrière chaque porte fermée se cachent les histoires d’une vie.

Il faut rentrer les poules et laisser sortir le chien une dernière fois, et puis enfin la nuit prendra ses droits ; je passe la première et je rentre chez moi. De ma terrasse j’entends le voisin travailler son piano, l’air est doux pour la saison, il faudra bientôt que je m’occupe des fleurs, demain, plus tard, il va sûrement geler encore. A l’intérieur quatre couettes font des bosses sur les petits corps tout chauds et endormis, j’embrasse chacun d’eux et rentre le petit pied qui dépasse, toujours le même.

J’ouvre la fenêtre, dehors le silence est assourdissant. A l’intérieur, un oreiller qu’on retape, les pages de Jack Kerouac que je tourne sans reprendre mon souffle, comme son écriture. le sommeil viendra me chercher à Denver.

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