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Ceux qui donnent la parole au langage

Publié le 21 mars 2014 par Jlk

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Celui qui écoute ce qui se dit dans l’intimité de la rondeur / Celle qui émiette son petit pain chaud dans le tea-room aux confidences / Ceux qui affirment leur amour de tout par transfert verbal / Celui qui sonde les étymologies de la solitude dans toutes les langues où elle est exprimée / Celle qui en revient à Shakespeare en vue de son étude sur le théâtre des lointains / Ceux qui scient la langue de bois pour en faire des porte-plumes / Celui qui a recueilli les derniers contes du Frioul / Celle dont la mère parlait comme un livre d’images / Ceux qui ont passé leur vie à rechercher le grand langage oublié /Celui qui reste à l’écoute de quelle petite phrase bouleversante au cœur d’un être / Ceux qui croient entendre des accents berbères dans le dialecte uranais / Celui que la structure tressaillante de la première bulle qu’il a formée en sa tendre enfance continue d’émouvoir en tant que sphère issue d’un souffle / Celle qui s’est sentie seule quand la bulle a éclaté dans le jardin portugais / Ceux qui réparent les vivants dans la rumeur des appareils / Celui pour qui tout est langage à l’exclusion du bruit humain pour rien / Celle qui use de son temps de parole afin de ne rien perdre de la présence du beau prisonnier mal rasé / Ceux qui ont lu tout le théâtre disponible à la bibliothèque du quartier des Furets sans oublier bien sûr Les Thermophories d’Aristophane / Celui qui rend ses devoirs de physique en alexandrins boitant juste où il faut / Celle qui propose des titres de pièces au nouveau Sacha Guitry de la classe de Mademoiselle Siphon / Ceux qui laissent leurs phrases en suspens au bord du sommeil genre Shelley shooté / Celui qui ne dira pas tout à sa mère et lui sait gré de ne pas tout lui dire non plus / Celle qui se révèle poète à sa façon en déclarant, son bifteck avalé, qu’elle vient de se« faire toute la fesse d’un Monsieur Bœuf » /  Ceux qui voient le consul du Pérou perdre contenance dans le grand appareil de chapeaux et de croupes des Dames de Montorgueil lui balançant des vannes / Celui qui ayant lu tout Céline se serait efforcé de ne jamais l’imiter s’il avait écrit autre chose que de la musiquemilitaire / Celle qui parle detonne à propos de l’impact physique et spirituel des sermons de l’exaspérant Bossuet/ Ceux qui pouffent carrément en relisant Lautréamont le play-boy gothique / Celui qui traduit Jo Nesbo en braille avec du sang partout / Celle qui descend au fond de chaque mot comme dans un puits mais sans bottes / Ceux qui murmurent comme des défunts s’éloignant dans les mémoires qui les oublient dans l’heure /Celui qui décide ce matin que Palindrome gouvernera sa journée prise à l’envers/ Celle qui ne confie ses enfants qu’à des bonnes volubiles genre commères de Douala / Ceux qui font dire au langage tout ce qu’il peut mais le non-dit est aussi très très très important vous savez Madame Sturm, etc.      

Peinture: Adolf Wölfli.


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