D’où ma décision, il y a une bonne dizaine d’années, d’arrêter de prêter mes trésors littéraires. C’est que l’on s’y attache à ces petites choses. Je sais, ce n’est pas bien d’être matérialiste, et sur beaucoup d’autres plans je ne le suis pas, mais avec les livres, c’est une autre histoire. Souvent, un livre, je lui ai tourné autour pendant longtemps avant de l’acheter, parce que je n’étais pas sûre, parce que je n’avais pas l’argent. Parfois, pour certains auteurs que j’apprécie tout particulièrement, cela fait déjà des semaines que j’attends sa sortie lorsque je fais enfin main basse sur mon bonheur en librairie.
Ensuite, nous partageons ensemble des heures intimes. Des heures longues ou envolées sans que je ne les aie vu filer. Des heures agacées, tendue, confortables, perturbantes, troublantes, passionnées, tristes, attachantes, décevantes, joyeuses, parfois incompréhensibles. Des heures magiques, qui m’ont prise par le regard, et emporté tout mon être avec elles. Une fois les derniers mots avalés, c’est toujours un moment spécial que de trouver l’espace sur les étagères où va venir se blottir chaque histoire. Régulièrement, je regarde ma bibliothèque, m’arrêtant à chaque titre ou laissant le hasard me guider, comme on regarderait un album photos.
Or, il est rare de prêter ses albums photos – c’est quand même un chouia trop personnel. Eh bien c’est exactement ce genre de rapport que j’entretiens avec les livres. Par contre, à défaut de les prêter, je n’hésite pas à en offrir autour de moi. Je suppose que c’est ma façon de payer pour mon pêché de ne pas être prêteuse.