Éditions Apogée, 2014.
Lecture de Marie-Hélène Prouteau
[“D’ICI À LA RÉALITE CLAIRE ET HUMAINE”]
Liscorno, un bourg des Côtes-d’Armor où le poète Jacques Josse a passé sa jeunesse. Il y a le vent, des rivières à saumon, le café, la mer proche. Et dans les lointains le Menez Bré. Lorsque le jeune Josse rêve seul dans la maison de Liscorno, à qui confier ses émotions ? Aux poètes, aux écrivains tout simplement qui vous parlent des grands espaces de l’Hudson et de villes imaginées : Bruges, Denver, Anvers, Prague… Et voilà que viennent à sa rencontre, sortilège des lectures adolescentes, Tristan Corbière, Armand Robin, Emile Verhaeren, Jack London, Henri Michaux et bien d’autres.
« Il me suffisait de fermer les yeux pour sauter en un éclair des haubans du pont de Lézardrieux, à l’entrée de Paimpol, aux câbles orange du Golden Gate ».
Jacques Josse commence chaque chapitre de son livre par une citation d’un de ces écrivains : une belle trouvaille pour dessiner une sorte d’autobiographie sensitive et livresque à la fois qui se clôt tel un chemin initiatique.
« C’était mon dernier été au hameau. J’essayais de capter les gestes, les silhouettes, la démarche, l’attitude et les traits de personnalité de certains des habitants en songeant que je ne les verrais peut-être jamais plus ».
Petit à petit se dévoile le tout-venant de mille impressions adolescentes : la vie vécue, la vie rêvée se mêlent complètement. Ainsi, une grosse voiture américaine s’invite dans la mansarde, sortie tout droit de Sur la Route de Jack Kerouac. Le capitaine au long cours de Brest, François Josse, côtoie Jean Genêt ou Raymond Carver avec leur « gueule » si caractéristique. Cet ancêtre coureur des mers qui l’a précédé dans la généalogie familiale lui ouvre les portes d’un ailleurs poétique.
« Parfois un personnage s’éjectait d’un livre et retombait, tel un chat sur ses pattes, au beau milieu d’un autre ».
L’on retrouve ce qui était déjà présent dans Retour à Nantes, ce pouvoir surréaliste de faire surgir presque naturellement des personnages au détour d’un paragraphe. Ces pages sont habitées, au sens propre du terme, autant par des personnes réelles — voir l’homme resté mutilé de la guerre de 1914-18, le fossoyeur du bourg ou bien le père dont il fait un portrait touchant — que par des fantômes. C’est ainsi que Paul Celan vient une nuit dans la mansarde, porteur des premiers poèmes qui donneront Fugue de mort. Merci à Jacques Josse pour cette magnifique apparition du poète franco-roumain.
Tout se passe comme si ce territoire d’enfance faisait fonction de « forme » au sens ouvrier ou artisanal du terme. Le lieu réel, Liscorno, où s’engrangent ces lectures, s’absente par moments, pour laisser place à un lieu imaginaire où prend forme la vocation de l’écrivain, ouverte sur les possibles de la vie.
De cette boulimie brouillonne et pressée de lectures ressort une étonnante impression d’énergie, celle d’une sensibilité qui suit en toute liberté sa pente singulière naissante. Celle d’un être jeune prêt à capter toutes ces ondes de solidarité fraternelle avec ces « existences en lambeaux » entrevues au café du hameau. Ce beau livre qui fait une si belle place au don des morts fait résonner de façon forte les mots de Fernando Pessoa :
« Au labyrinthe de moi-même, je
Ne sais plus quel est le chemin qui me mène
D’ici à la réalité claire et humaine,
À la réalité pleine de lumière où je pourrais
Me trouver des frères. »
Marie-Hélène Prouteau
D.R. Texte Marie-Hélène Prouteau
pour Terres de femmes
JACQUES JOSSE
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Apogée) la page de l’éditeur sur Liscorno
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