C’était gênant, je ne reconnaissais pas son visage. Un mois déjà. J’aurais pu reconnaître son sexe entre mille mais il aurait été assis à la terrasse d’un café entouré d’inconnus baignés de soleil, il aurait siroté un soda à la paille profitant de l’arrivée des premiers beaux jours, je serais passée devant lui la jupe légère, les désirs au chaud, l’ignorant avec superbe. Il m’aurait hélée, sa voix m’aurait retenue, j’aurais suivi mes autres sens pour me diriger jusqu’à sa table. Et ce n’est que lorsque ma bouche aurait goûté sa langue que je l’aurais retrouvé avec certitude. J’aurais mis mon aveuglement passager sur le compte de ma myopie, je suis désolée, je n’ai pas mes lentilles. Elle a toujours bon dos, celle-là. Il aurait louché sur mon décolleté, c’était tout pardonné.
Mes seins me sont aussi étrangers que son visage. Ils sont gonflés en permanence d’un désir rond qui ne leur appartient pas. Ils sont les fruits de l’alliance du bistouri et du silicone. Ou d’une autre matière qui ne refile pas le cancer. Ils sont à l’image de ce que j’ai pensé dans ma tête. Ce qu’ils devraient être.
Je m’appelle Kitty et c’est mon vrai nom. Le reste de ce que je dis, je le change au gré de mes interlocuteurs. J’invente selon leurs soupirs et selon où fuit leur regard. Cela ne me dérange pas, je n’ai pas une vision corsetée de la vérité.