Orgie de Selfie

Publié le 26 mars 2014 par Hunterjones
Quand les mots twerking et selfies sont entrés dans le Oxford dictionnary, pour faire de l'espace, on a aussi retiré les mots future et optimism.
Le mot narcissism est aussi devenu une qualité.
Latoya n'avait jamais fait de selfie de sa vie. Elle apparaissait même de moins en moins dans les photos depuis qu'elle sortait avec Shaquille. Comme il était du type "photographié" plutôt que du type "photographe", Latoya, avec humilité mais avec un léger deuil quand même, s'était docilement sacirifié et peu à peu hors des images en se plaçant plus souvent derrière la caméra que devant, jusqu'à aujourd'hui, 7 ans plus tard dans leur relation amoureuse.Elle n'en était pas malheureuse mais elle avait presque pratiquement complètement disparue des photos. Elle les prenait mais n'y posait presque plus.

Il y avait cette tendance qu'elle avait en horreur de voir les gens se prendre en photo un peu partout en tout temps. Une tendance appelée selfies. Ja-mais elle n'aurait cédé à la tentation de se prendre en photo elle-même. Déjà qu'elle trouvait qu'il existait trop de miroirs...Aller chez le coiffeur était une réelle torture pour Latoya qui devait passer plus d'une heure à se regarder dans le miroir, finissant toujours par loucher à vouloir s'éviter la tête tout le temps. Pas qu'elle fût laide ou quoi que ce soit mais quand elle se regardait trop longtemps dans une glace, elle voulait à tout prix éviter de tomber dans la vanité et ne se laissait jamais attendrir dans la complaisance. Elle faisait confiance à la vie, avait confiance en ses moyens, en son apparence, prenez-moi telle que je suis or beat it!
Latoya n'était pas une fille comme les autres. Si elle avait à marier Shaquille un jour, elle voulait que la cérémonie se déroule dans un éclairage bleuté avec le film L'Année Dernière à Marienbad qui jouerait sans son sur un mur arrière lors de la réception. Une réception tenue pratiquement dans le noir si possible. Afin que tout le monde se sente de beauté égale dans la pénombre. Latoya était le contraire de la vanité.

Mais ce jour-là, telle une adolescente voulait tirer une seule puff de cigarette en cachette, seule dans la maison, le téléphone à la main, elle se laissa tenter. Une photo. Merde, elle est floue, et on y voit trop de poitrine. Une autre. Puis une autre. Puis une autre. Une autre.
Puis une autre.
Une autre
Une autre.
Une autre.
Une autre.
UneautreUneautreUneautreUneautreUneautreUneautreUneautreUneautreUneautreUneautreUneautre.

Latoya regarda le nombre de photos sur son téléphone qui était à zéro avant qu'elle ne débute cet élan narcissique: 87.
"Non trop près de la caméra, j'ai l'air d'avoir un gros nez et j'ai même la peau plus foncée."
"Trop d'épaule"
"Pas assez de sourire"
"Trop de sourire, trop de dents"
"Un oeil fermé"
"Aucune différence sur ses 9 photos là qui montrent toute la même coquetterie instable dans l'oeil droit"
Sur 87 elle ne garda rien.
Non, Latoya ne s'aimait pas.
Elle ne s'aimait pas en train de s'évaluer la superficialité non plus.
Elle choisit alors d'aller se mettre du rouge à lèvres et de cacher ses épaules nues en portant une robe noire. Personne ne saurait que c'était une robe car on ne verrait pas ses cuisses, mais Latoya, elle savait, donc les trois premiers selfies dans ce nouveau costume, elle les rata de nouveau car elle se regardait les cuisses.
Qu'elle évaluait aussi. Connerie de connerie. Elle en eût assez et choisit que cette fois allait être la bonne.
Et ce fût vrai. Cette fois elle était satisfaite d'elle-même. Que ferait-elle de cette photo? Elle n'en avait aucune idée encore, elle qui n'allait jamais s'exposer sur Facebook. Elle avait bien un compte Twitter mais ne l'utilisait jamais non plus.
Trop nombriliste.
Latoya avait justement rendez-vous chez le coiffeur ce jour-là et avait choisi de se faire couper les cheveux beaucoup plus court. À hauteur Cléopatrienne. Elle était incertaine de sa décision capillaire. C'était assurément son subconscient qui lui avait ordonné de s'immortaliser avec sa tête d'avant. Des fois qu'elle regretterait sa décision.
Latoya s'était tellement vue dans son propre téléphone qu'elle ne supporta pas de se voir le visage ne serais-ce que plus de 2 minutes dans le miroir chez le coiffeur. Mais quand elle le fît à la toute fin, elle était satisfaite du résultat.
Latoya faisait confiance à la vie. Elle avait confiance en son apparence, en ses moyens.
Prenez-moi telle que je suis or beat it!

Dans la voiture sur le chemin du retour, elle résista à l'envie de se regarder la nouvelle tête dans le rétroviseur. Mais le changement était si important, de longs à semi-courts, qu'elle finit par céder. Pas en se regardant dans le rétroviseur, mais en se saisissant de son téléphone pour tenter un autre selfie. Quelle conne, craquer pour cette drogue vaniteuse...elle rata les trois premiers au volant, puis, quittant la route des yeux remarqua qu'elle s'apprêtait à faire un face-à-face et donna un violent coup de volant pour retrouver la ligne droite sur la route.

Sa voiture prit au contraire la direction de l'étang près du boisé Saint-Appollon.
Peu à peu, l'eau s'inflitrait dans la voiture. Latoya, stoïque coulait dans sa voiture qui touchait déjà le fond. Il n'y avait donc pas lieu de s'inquiéter, l'eau ne pouvait pas monter plus haut que sa tête. Mais elle toucherait son menton, c'est certain.
Elle sauva son téléphone et en profita pour prendre un dernier selfie.
Pour le tweeter ensuite un jour où elle serait cul par dessus tête et aurait de la difficulté à garder la tête hors de l'eau.

Ça serait drôle.
Et tout le monde penserait qu'elle aurait fait un montage photoshop.
Personne ne saurait qu'elle avait failli subir le même sort que Narcisse.
De toute façon narcissime serait peut-être bientôt une qualité aussi en français.
Moi & Compagnie, Facebook, Instagram, TwitterVéro Inc à l'appui.
Ce serait toutefois fini pour les selfies.