Le cryptogramme de l'hameçon

Publié le 26 mars 2014 par Picotcamille @PicotCamille

Voici une nouvelle que j'ai écrite. C'est un peu fille, un peu autobiographique et sans doute sans intérêt. Mais tant pis, ça m'endurcis. Et ça me permet de tester une pratique qui m'attire; l'écriture, que j'aimerai mêler avec le théâtre, le dessin, le cinéma, la danse. C'est le Cryptogramme de l'Hameçon.

 

Pas de Message. Mélissa tirait sur sa clope. Il faisait nuit et la lumière qui apparaissait à chaque bouffée était réconfortante. Une pause de cinq minutes en fin de service. Mélissa frissonne dans son stupide uniforme de serveuse. Une chaîne qui joue sur le bio-écolo-hype pour bobos peu inspirés. Aucun intérêt mais le patron est arrangeant dans la mesure du possible et les autres filles sont plutôt sympas.
Pas de message. Encore une bouffée. Mélissa tripote machinalement son portable, l'allumant, le mettant en veille, ouvrant une application pour la fermer aussitôt. Pas un mot. Connard. Elle avait fait le tour de tout ce qui était social, de Facebook à Snapchat; codal. Autre bouffée. Une respiration bien profonde, histoire que toute la nicotine l'imprègne. Au début elle avait été triste, déçue. Elle s'était sentie fautive. Maintenant elle était juste énervée. Encore un mec qui avait pensé pouvoir la caser dans les réponses d'un test psychologique de mensuel féminin. Pute, Mère, Pote. Au choix mais pas plus. Bouffée. La cigarette tout comme la pause tirait à sa fin.


Mélissa reprit les quelques tables qui lui restait, essentiellement de la jeunesse venue se restaurer en prévision de tout l'alcool qu'ils allaient ingérer en ce samedi soir, toute l'énergie qu'ils allaient dépenser sur le dancefloor. La table de princesses attifées comme pour un carnaval avait enfin choisi son dessert. Trois desserts, six cuillères et quarante minutes à discuter calories et régime. Un couple de trentenaires réclamait l'addition, vu comment ils se léchaient le museau, eux ils ne s'attarderaient pas en boîte. Direction un pieux sans passer par la case des bars. Depuis le début ils l'avait énervé. Elle les trouvaient bêtes avec leurs gueules béates de pub pour dentifrice. Leurs petits rires, les cheveux de la nana avec lesquelles elle ne pouvait s'empêcher de jouer, le torse bombé du mec au moment de choisir le vin, de la goûter, de le servir. A croire qu'ils la narguaient. Le couple était partie scotché comme une seule unité. Le genre de position qui n'est confortable qu'au cinéma. Mélissa les suivit du regard, espérant qu'ils se plantent d'ici deux mètres. Même pas. La serveuse débarrassa la table déçue, espérant qu'il y aurait au moins eu une justice pour les déçus de cœur.


Son service terminée, Mélissa inspira profondément. La pollution avait aussi un côté réconfortant. Pas de message. Mélissa rentra dans la rue de Clichy. Marcher lui faisait du bien, la calmait. Elle jetait un coup d'œil dans les intérieurs éclairés sans rideaux. Comme autant d'écrans de cinéma. Nouvelle cigarette. A bientôt sept euros le paquet, environs une heure à servir des cons, il fallait qu'elle pense à calmer. Pas de message. Elle l'avait vu le week-end dernier. Un samedi après le boulot. Il l'avait emmener dans un club bourré de branchés. Musique électro à fond, cocktail à quinze euros et nymphettes à la douzaine. Ces filles subjuguaient Mélissa. Elle se sentait con, comme un saucisson parmi une foule d'asperge. C'était un défilé de mode à chaque regard et elle avait sur le dos l'équivalant de trente euros de fripes et de soldes, un jean et un t-shirt. Ils avaient baisé ce soir là. Comme d'hab. Ils avaient été dans son studio, elle avait cru déceler quelque chose dans son regard, elle lui avait poser la question. Et puis pas de nouvelles. Les premières fois, elle avait essayé de faire la fille qui s'en fout. De poster des photos d'elle, hilare, avec ses copines. Cela n'avait pas vraiment été une franche réussite.


Toujours pas de message. Elle jeta son mégot dans le caniveau. Tout Pigalle grouillait. Une fille trop belle et trop bourrée pleurait dans les bras d'une amie. Elle avait une micro robe de bal, des talons hauts, de jolies jambes; son visage était beau, bien qu'englué de mascara et de larmes. C'était le genre de fille à qui tout va, avec une grâce naturelle. Parce que même là, au trente-sixième dessous, elle aurai pu apparaître dans un film. Son amie était moins belle, mais les regards noirs qu'elle lançait à tous les passants qui s'attardaient. Comme un animal qui va attaquer. Une force rare. Putain, elle lui avait juste demander comment il la voyais? Il avait du vouloir faire un blague lourde pour masquer sa gêne, genre "avec les yeux". Elle avait essayé de lui expliquer. Elle aurait voulu un peu de temps, pour rassembler les idées, pouvoir parler pour éclaircir. Mais il était pressé, attendu ou je-ne-sais-quoi. Et il était parti.


En une semaine, elle avait fait le point. Elle ne voulait plus entrer seulement dans la case pute de son connard de psychotest qui lui servait à comprendre la gent féminine. Elle ne voulais pas être sa mère, ni sa femme. Pas de message. Mais un mec ne peut pas comprendre ça. Il ne peut pas comprendre que vous soyez une fille et que vous ne vouliez pas être en couple. Remarquez, elle avait expliqué son dégoût des enfants à plusieurs copines qui n'avait pas l'air de comprendre beaucoup plus. Mélissa était en bas de chez elle.


En même temps elle n'avait pas de mot pour décrire ce qu'elle voulait. Elle n'avait même pas d'idée précise. Une relation. C'était vague. Premier étage. Sex with benefit. C'est ce qui s'en rapproche le plus. Mais sans le flippe de se dire que chaque fois étais la dernière. Cette connerie lui torturait le crâne. Deuxième étage. Elle devrait s'en moquer aussi, ce dire que c'était cool, qu'elle pouvait faire ce qu'elle voulait; Mais elle ne pouvait pas. Pas de message. Les marches se suivaient. Au quatrième, un couple s'engueulait. Quelques marches encore et elle arrivait devant la porte de chez elle.


Elle se déshabilla. Dégrafa son jean, vira son haut, soutif, chaussette et abandonna le tout au pied de son lit. En boule. Mélissa s'engouffra dans les draps. Inspiration. Elle se sentait forte de ce qu'elle savait. Pas de message. Non elle n'étais pas amoureuse de lui, mais elle passait du bon temps et elle aurait aimé qu'ils se connaissent un peu plus, et pas un soir tous les quinze jours pour du sexe. D'ailleurs il pouvait bien aller se faire foutre. Il n'avait même pas le quart de l'idée de qui elle était. Elle lui avait sortie le rôle de la meuf sympa, le style girl next-door interchangeable. Elle l'aimait bien, elle s'attachait à ce mec pour les mêmes raisons qu'on s'attache à n'importe qui. Sa façon de prendre soin de lui, sa passion pour les films Ophüls, sa sensibilité. Une alliance de trucs qui marchaient. Elle s'amusait bien, elle voulait juste en profiter. Et puis il avait pris sa déclaration au sérieux. En lettres majuscules et papier à en-tête doré. Il lui avait fait le coup du mec qui a trop souffert.
"L'amour est un luxe que je ne peux pas me permettre". Elle le voyais encore, dans l'encablure de la porte, fier de sa phrase avec son pass navigo en main, jetant fébrilement un regard à l'ascenseur. Prêt à décamper dès son arrivée. Il avait tenté un sourire amical, elle avait fait pareil pour refouler ses larmes.


"Adieu, Monsieur, retourne à ton couvent". Sa licence de lettre ne lui servait qu'à mettre des mots qui n'étais pas d'elle sur des émotions changeantes. "Et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonné, réponds ce que je vais te dire". Il y avait toujours un mec qui avait écrit ce qu'il fallait. Un machin auquel s'accrocher. "Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou;lâches, méprisables et sensuels". Vous vous sentiez tout de suite moins seule. "Toutes les femmes sont perfides, vaniteuses, curieuses et dépravées". Etre mieux comprise par un texte de bientôt deux cents ans, que par les gens qu'on rencontre, c'est bizarre non? "Le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange". Elle aurait aimé lui sortir un truc comme ça quand il lui faisait son numéro. Jouer la meuf qui sait. "Mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux". Les mots trottaient dans sa tête. Ils arrivaient toujours au bon moment."On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux". Ce n'est pas la première fois que les mots venaient à sa rescousse. "Mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit". Mélissa prit son carnet. "J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé". Le stylo noir glissait sur la page lignée. Achat impulsif pour cette vieille envie d'écrire un jour. "C'est moi qui est vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui". Connard.


Son téléphone se met à sonner. C'est lui. Mélissa tend la main vers sa table de nuit. Pose le stylo, le carnet. Sa main surplombe le téléphone. Eteins la lampe et s'endors. Au son du vibreur.