Le club

Publié le 28 mars 2014 par Anna Coquelicot

En attendant que Julien rentre de l’école, Monsieur Chat passe le temps avec Joli-Cœur et le vieux Misti. Les trois matous paressent au soleil quand un petit chat noir vient à vagabonder dans les parages.

Joli-Cœur examine d’un œil expert le pelage hirsute du rôdeur : aucune hygiène… certainement pas de maître…

- Hé toi! interpelle-t-il. Tu ne vois pas que la place est déjà prise?

- J’ai le droit d’être ici, autant que vous! proteste Petit Noiraud.

- Pour nous refiler tes puces? Tu rêves mon chaton! Nous ne fréquentons pas les chats errants!

- Et d’une, je ne suis pas un chaton. Et de deux, vu la vitesse à laquelle tu perds tes poils, je me demande comment pourront s’agripper les puces, espèce de chat pelé… de saucisses!

Monsieur Chat étouffe un petit rire.

- Chapelet de saucisses… hi hi hi! Excellent….

D’ordinaire, lorsqu’on plaisante sur un sujet aussi délicat que les poils, il essuie toutes les railleries à cause de son pelage roux… Chacun son tour!

Mais Joli-Cœur est piqué au vif, plus cruellement que si une armée de puces était passée à l’attaque :

- Il est complètement toc-toc, celui là! s’exclame-t-il en cherchant le regard de ses camarades pour les prendre à témoins. Je t’en ferais manger, moi, des saucisses! Ou plutôt, je les garderais pour moi… et ne compte même pas toucher aux restes! Tu ne sais pas à qui tu t’adresses, mon chaton. J’ai gagné plusieurs concours grâce, notamment, à ma sublime fourrure. Tu as sous les yeux du poil de compétition! Enfin bref, je n’attends pas que tu comprennes de telles subtilités. Saches seulement que cette place est réservée… aux membres de notre club!

 Un club? La classe! Monsieur Chat n’avait jamais réalisé qu’il appartenait à un cercle aussi distingué.

Ne doutant de rien, Petit Noiraud demande :

- Je peux adhérer?

- Il faut d’abord passer des tests, déclare Monsieur Chat. Voyons… J’aide souvent Julien, mon petit maître, à faire ses devoirs. Les mathématiques n’ont pas de secrets pour moi. Si tu veux, nous pouvons commencer par un test d’intelligence… peut-être un problème de calcul?

À l’approbation générale, Monsieur Chat expose les données du problème :

- Julien rempli ma gamelle avec trois cuillers de pâté. Comme j’ai encore faim, je donne de la voix. Complétons l’énoncé en précisant que Maman a les oreilles sensibles…

- Laisse-moi deviner, intervient Joli-Cœur. Je parie qu’elle te jette dehors…

- Je n’avais pas fini! Maman est dans un bon jour. Elle ajoute deux cuillers. Combien de pâté vais-je manger en tout?

- Je préfère croquer des souris, répond Petit Noiraud.

Joli-Cœur fronce le nez.

- Chez nous, on mange en abondance une nourriture civilisée. Nous n’avons pas besoin de chasser.

- Je me disais, aussi, que vos ventres ont tendance à traîner par terre!

Petit Noiraud dépasse les bornes. Cette dernière pique a raison de Joli-Cœur et de sa dignité féline :

- Mon ventre n’est pas si gros!

- Tais-toi! feule Misti. C’est un fait : Nous manquons d’exercice.

Jusqu’à présent, le vieux chat est resté silencieux. Mais quand il sort de sa réserve… Petit Noiraud n’en mène pas large! Misti tourne autours du chat errant et l’examine avec férocité.

- Alors, ce test? reprend-il.

- Ha… Heu… oui, le test! bafouille Monsieur Chat. Nous disions : trois cuillers de pâté plus deux…

Joli-Cœur adopte une expression inspirée.

- Et pourquoi pas des croquettes?

- Tu as raison, murmure Monsieur Chat. Les croquettes Chamoumix, par exemple… pour plus de vitalité! Enfin, c’est ce qu’ils disent à la télé…

 Monsieur Chat aime beaucoup regarder la télévision avec Julien, surtout au moment des publicités. Aussitôt rejoint par Joli-Cœur, il commence à fredonner le slogan :

"Chachamou… Chachamoumix…  Votre passion, sa digestion… "

- Je comprends mieux, coupe Misti. La boîte à image vous aura sans doute grillé quelques neurones indispensables au bon fonctionnement de la soupe qui vous sert de matière grise… Réfléchissez plus vite! Sinon, nous y serons encore à la Pentecôte!

Joli-Cœur agite sa queue.

- Inutile de t’impatienter! Heu… de quel plat de côtes parles-tu au juste?

- Je vous ai demander de réfléchir et surtout pas de poser des questions idiotes! Faites un effort : concentrez-vous!

- Concentré… comme le lait? s’enquière Monsieur Chat.

Misti considère les membres du club d’un air navré.

- Mais enfin… vous ne pensez qu’à manger! Pas étonnant que vos ventres traînent par terre…

- Parce que maintenant, tu es de son côté? s’insurge Joli-Cœur en jetant un regard sombre à Petit Noiraud.

La conversation prend un tour très désagréable. Monsieur Chat n’écoute plus. Au bout de la rue, deux silhouettes attirent son attention.

- Petites filles en approche, annonce-t-il. Droit devant!

Les chats reconnaissent Caroline et Océane. Les fillettes habitent le quartier.

- J’ai une idée, dit Joli-Cœur. Faisons le concours du chat le plus adorable!

- Cela peut marcher, admet Monsieur Chat.

Il lorgne le collier de son camarade. Joli-Cœur porte autours du cou un ruban orné d’une clochette – le comble du ridicule selon tout félin qui possède un minimum de bon goût. Mais bizarrement, les petites filles semblent apprécier ce genre décoration.

Joli-Cœur parade devant Caroline et Océane. Il se frotte contre leurs jambes. Les fillettes distribuent quelques caresses, puis essaient d’écarter ce gros matou qui leurs barre le passage.

 Soudain, un bref « miaou » retentit. On assiste alors à un déferlement d’enthousiasme. Caroline aperçoit Petit Noiraud. Elle écarquille les yeux :

- Il est trop mignon!

- Trognon! confirme Océane.

Le chat errant se laisse caresser. Il s’avise même de ronronner.

- J’en connais qui vont attraper des puces, murmure Monsieur Chat.

- Encore un mot et tu es disqualifié! maugrée Misti.

Monsieur Chat hausse les épaules.

- Dis donc, tu es de mauvaise humeur aujourd’hui… aussi désagréable qu’un… qu’un… chapelet de saucisses! De toute façon, ce jeu n’est pas drôle. Notre club est trop sélect, même pour nous. Je rentre à la maison. Julien doit déjà m’y attendre.

- Bon ben… moi aussi, je vais y aller, décide Joli-Cœur. Je commence à avoir faim.

Les deux matous s’éloignent, la queue dressée vers le ciel.

- Tu es doué, miaule Misti à l’adresse de Petit Noiraud. Tu pourrais facilement te faire adopter et mener une vie plus confortable.

Petit Noiraud échappe aux mains des fillettes.

- Et puis quoi encore? Adhérer à un club idiot? Manger de la pâté en boîte? Non merci! Je préfère ma liberté!

Sur ces mots, il s’enfuit en riant.

" On n’a pas fini d’entendre le rouquin nous traiter de chapelet de saucisses, soupire Misti. Tel que je le connais, ça va lui faire la semaine…  au moins! "

FIN

Par Anna Coquelicot pour COQUELICOT ET COMPAGNIE

Une autre aventure de Monsieur Chat : LES RATS DE MONSIEUR CHAT

……

Il y a un an, tout juste, je publiais les « Rats de Monsieur Chat ». À l’origine, j’avais écrit cette histoire pour mon fils. D’autres ont suivi. C’était un peu nos histoires secrètes. Depuis, mon fils a pas mal grandi. Le secret défense est donc levé.

Comme je ne manque pas d’enfants autours de moi, j’ai continué à inventer de petites histoires. Au début, créer un blog était seulement un moyen simple de partager mes textes. Puis je me suis prise au jeu : communiquer entre blogueurs, découvrir les univers de chacun… Une expérience riche!

Merci à ceux qui ont lu ou écouté ces histoires.

Merci pour vos commentaires et les dessins que j’ai reçus.


Classé dans:histoire courte