Demain, je saurai. Demain, je saurai ce que d'autres collègues, T1 comme moi, savent déjà. Ah ? Et quoi donc ? Demain, je dirai adieu à mon école. Je dirai adieu à mon poste. L'année n'est pas encore terminée, pourtant ! Non, mais je veux dire que je tirerai un trait sur l'école de C. l'année prochaine. A contrecoeur, bien sûr, mais que veux-tu, je n'ai pas le choix... J'aurais pu me renseigner auprès des syndicats pour avoir les résultats du mouvement plus tôt. Mais je me suis dit que, quitte à être déçue, autant l'être le plus tard possible. Et il s'avère que le "plus tard" se rapproche dangereusement... Et pour cause, c'est demain !
Je ne veux pas avoir le résultat. Je ne veux pas lire le nom de quelqu'un d'autre à côté de mon poste. Je ne veux pas quitter mes collègues. Plus la fin de l'année se rapproche, plus je les aime, et plus ça me déchire de partir. Aujourd'hui, je suis en grève. Ce matin, j'ai défilé avec mes collègues. J'ai été présentée au mari de l'une d'elle comme étant "la collègue qui est arrivée cette année et qui s'est très bien intégrée à l'équipe". Le mari en question sait même que j'ai eu le permis récemment et que je suis l'heureuse propriétaire d'une Twingo violette ! Eh bien ! Cela signifie qu'on cause de ta petite personne dans les chaumières, et en termes positifs en plus ! Oui. Et cela m'a fait un plaisir immense parce que j'y vois la preuve d'une intégration réelle, et d'une certaine affection. Je ne veux pas quitter tout ça. Je comprends...
Alors je sais que ça fait partie de la vie, et surtout que je ne suis pas en droit de me plaindre : d'autres T1, après avoir vécu une année éprouvante, en CLIS ou SEGPA, appréhendent ce mouvement comme une bouffée d'oxygène. Cependant, j'ai beau essayer de dédramatiser, je redoute mon dernier jour de classe. Je redoute d'avoir à dire à mes élèves qu'ils ne me verront plus faire les surveillances de récréation l'année prochaine. Je redoute ma propre émotion. Je redoute leurs bouilles ravies de partir en vacances, leur "au revoir, Maîtresse" et le vide de ma classe. Allez, allez c'est encore loin ! Oui, je sais, mais bon... Tu me connais...
Je ne me fais pas à l'idée de devoir quitter l'équipe. Ne plus papoter sur la pause du midi avec mes collègues. Ne plus faire la course au micro-ondes (un petit jeu entre nous) avec l'instit' de CM2. Ne plus prendre de petit café après la classe avec l'enseignant de CE1. Je ne veux pas non plus renoncer à nos grands discours idéalistes avec la grande I, la maîtresse de CP-CE1. C'est tout de même effarant d'être bien avec ses collègues, avec ses élèves, dans l'école, et de devoir tout recommencer l'année d'après, parce qu'on n'a pas encore assez d'ancienneté pour avoir le droit de rester là où l'on est bien. Tout recommencer. Se réintégrer. Faire ses preuves. Où cela ? Avec qui ? Dans quelles conditions ?
Je ne peux m'empêcher de discuter avec les instits' de l'école de C. comme si j'allais les retrouver en septembre. Nous discutons de l'année prochaine, des 60 h, des stages de rattrapage, de la position de l'équipe par rapport aux changements dans les programmes, et tout ce qui nous est tombé sur le coin du crâne récemment. Et j'imagine mon plaisir en les retrouvant à la rentrée, j'imagine mon plaisir en pénétrant dans ma petite classe, en revoyant mes anciens élèves grandis et bronzés. Aucune de mes collègues T1 n'a obtenu de poste. Je ne me fais pas d'illusions. Alors en attendant, je profite des quelques heures qui me restent à rêvasser. Je vais profiter à fond des dernières semaines avec mes élèves et collègues de l'école de C., je vais m'imprégner de tout le bonheur que j'ai connu cette année du point de vue professionnel, et je vais le garder pour mes jours de déprime. Les jours de déprime comme demain soir, par exemple, quand je ne verrai mon nom nulle part, et surtout quand je lirai le nom de quelqu'un d'autre en face du poste à pourvoir dans l'école de C. Parce que là, ça va faire mal.