Nous traversons une époque fantastique de progrès universel, dans un monde où les tensions continuent d’exister certes, mais sont peu perceptibles à l’échelle d’un citoyen européen. Il ne faudrait pourtant pas s’endormir, et peut-être devrions-nous tous apprendre à sortir de notre « zone de confort ».
Le terme lui-même n’est pas très élégant. La zone de confort (« comfort zone » en anglais) ne possède même pas de page wikipédia en français (qui s’y colle…?). Il désigne un état mental délimité par des frontières psychiques à l’intérieur desquelles un individu se sent en sécurité. Sortir de sa zone de confort, c’est tout simplement prendre des risques. C’est un concept récent, comme le montre Google Ngram, même s’il est fort probable que de nombreuses personnes ont su réaliser cet exploit par le passé, de Christophe Colomb à Robespierre…
Ce n’est pas facile de sortir de sa zone de confort. On peut accepter de le faire lors des jeux ou de simulations (et encore), mais rarement dans la vie courante, la vraie, aussi bien privée que professionnelle. C’est accepter de ne plus être un point fixe dans un espace tridimensionnel (x, y, z), mais une sorte de pavé (x+/-dx, y+-dy, z+-dz), introduire une incertitude dont on ne connaît même pas soi-même l’ampleur, rentrer dans une zone de flou indéfini. C’est changer de job sans avoir l’assurance de retrouver le même salaire ou les mêmes avantages qu’auparavant. C’est se lancer sur des projets dont on n’a pas l’assurance de bien contrôler les limites. C’est se lancer dans de nouveaux domaines à un âge où on ne vous y attend plus.
C’est aussi s’exposer aux revers de fortune, aux échecs. Sortir de sa zone de confort, certains vous le diront, c’est de perdre son focus, se diluer, brouiller le message. C’est manquer de précision, toucher à tout pour éviter de montrer qu’on ne sait rien, ou parce que, pire, rien ne vous intéresse sur le long terme. Passer sa vie à sortir de sa zone de confort est peut-être plus risqué que de ne le faire qu’à de rares occasions.
Mais sortir de sa zone de confort, c’est aussi rendre possible la rencontre de l’improbable, faire acte de sérendipité (ce qu’apprécie Henri Kaufman plus que tout autre), étendre son aura, élargir son savoir, aller à la rencontre des autres, et même de ceux qu’on ne fréquenterait pas. C’est créer des passerelles, repousser les frontières, apprendre de soi et des autres. C’est contribuer à construire une part d’humanité.
Autant j’admire celles et ceux qui prennent de tels risques, autant je reste surpris et parfois même déçu par celles et ceux qui ne savent pas sortir de leur zone de confort. Appréhension? Incapacité à se projeter au-delà de leurs savoirs ou de leurs savoirs-faire? Difficile à dire.
Il est vraiment étrange qu’un jeune enfant passe son temps à sortir de sa zone de confort avant qu’on ne lui donne une éducation pour y rester le reste de sa vie.