Du clocher à l'éolienne

Publié le 14 avril 2014 par Rolandbosquet

    Plusieurs siècles furent nécessaires aux Gallo-romains pour construire Lutèce, Lugdunum et autres cités remarquables. Avec les amphithéâtres majestueux, leurs temples aux sublimes statues, leurs aqueducs grandioses et leurs thermes du dernier confort palais. Il n’en reste que de rares vestiges devant lesquels les touristes  se recueillent religieusement chaque été en sirotant leur canette de coca-light. Le Moyen-âge édifiera plus tard d’admirables cathédrales à la gloire de Dieu et de l’Église. Elles illustrent encore somptueusement le centre de nos villes. On construira également des châteaux-forts pour protéger les seigneurs et leurs proches. Beaucoup ne sont plus aujourd’hui que des ruines envahies par le lierre et les herbes folles et se découpant majestueusement dans la lumière du soleil couchant.  Les paysans parsemèrent eux aussi les campagnes de clochers. Plantés au cœur des villages, ils tenaient lieu de repère pour les paroissiens et  inscrivaient la marque de leur vie et de leur foi pour l’éternité. Ils ponctuent toujours  superbement les clos et les vallées et fièrement surmontés de leur girouette, ils désignent les cieux tels des liens indéfectibles entre Dieu et les hommes. Ici ou là, s’élevèrent aussi des moulins. Ils disparurent, happés par l’usure du temps et la modernisation des techniques. Et vint le vingtième siècle. Sous la pression de la ménagère de moins de cinquante ans qui voulait l’eau courante à l’évier, on édifia alors des châteaux d’eau. Sur la colline qui surplombe les habitations, tel un totem témoignant du confort civilisateur, préside désormais une cuve cylindrique perchée au sommet de son socle de béton. (On ajoutera un peu plus tard sur leur toit des antennes de radios et de téléphonie pour bien montrer combien l’homme moderne est ancré dans son temps.) Puis, sous la pression des paysans des vastes plaines à blé et de leurs coopératives, on éleva, à quelques encablures des places de marché hebdomadaire, des silos à grain. Ils jettent aujourd’hui leur ombre poussiéreuse sur les innombrables activités humaines, telle une promesse d’opulence. Et arriva le vingt et unième siècle et sa soif d’innovation. Il inventera  les éoliennes. Semées en désordre sur les hauteurs et à travers les campagnes, elles témoignent dorénavant de l’appétit inextinguible de consommation de notre société. Et c’est ainsi que le voyageur peut admirer des paysages martyrisés, torturés, déchiquetés, qui ne représentent plus leur pays, leurs habitants, leur histoire, leur civilisation. Les paysages sont morts. Mais qu’importe, en réalité ? Combien d’automobilistes les admirent encore depuis les autoroutes ? On voit par-là que le monde progresse vers l’avenir à grands pas mais en tournant toujours de guingois.

Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter