- Photo Dominique Hasselmann -
Quand mon ami Dominique m’a envoyé cette photo de la plage d’Oye, une flopée de souvenirs pas trop tendres m’est revenue. Nous y allions souvent avec papa, maman. Papa avait un couple de vieils oncles qui y avait une petite bicoque. Comment s’appelaient-ils déjà ?
Francis et Georges, je crois. Oui, c’est ça. Francis et Georges. Deux vieux garçons qui avaient été ostracisés par la famille toute entière parce qu’ils étaient homosexuels. Deux hommes charmants que maman tentait de remettre dans le droit chemin. A l’époque, elle s’occupait de mettre en relation des hommes et des femmes pour qu’ils construisent un couple, elle était une sorte de conseillère matrimoniale. Elle n’était pas à une aberration près, ma mère !
Cet été-là, elle s’était mis en tête de présenter Françoise et Jacqueline, deux vieilles filles de son village d’enfance, à Georges et Francis qui avaient déjà l’un et l’autre au moins plus de cinquante ans. L’ambiance était tendue. Je devais avoir onze ans. Je ne comprenais pas à l’époque ce qui se passait, pour moi c’était étrange. J’avais toujours connu mes deux grands oncles ensemble, blaguant, cuisinant, et nous racontant toutes sortes d’histoires drôles. C’était des bons vivants.
Ces quinze jours furent pesants. On aurait dit que personne n’était à sa place, et maman était d’un miel effarant, minaudant, poussant ses deux ouailles dans les bras de ces messieurs en leur faisant bien comprendre l’intérêt qu’ils auraient aux yeux de la famille à rentrer dans le rang.
Je n’aimais pas ce qui se passait, je sentais la fausseté et surtout la grande tristesse de cette idée et de son devenir. Parce qu’à ma grande surprise, elle est arrivée à ses fins et Georges finit sa vie avec Françoise et Francis avec Jacqueline. Je n’ai plus jamais vu mes grands oncles sourire depuis. L’un et l’autre ont dépéri à petit feu. Paix à leurs âmes.
Oye-plage reste pour moi, l’endroit du contre-nature, de l’anti-bonheur. Et si pendant des années cette plage fut pour moi un endroit de liberté sauvage où je pouvait courir jusqu’à m’effondrer la tête dans le sable, où je pouvais chanter à tue-tête : « l’amour est enfant de bohème » et où nous faisions avec mon petit frère des châteaux de sable étourdissants, elle perdit d’un seul coup toute sa superbe après cette quinzaine estivale qui m’a tourmentée longtemps sur la nature des sentiments.