Le muguet est fleuri depuis longtemps grâce à la tiédeur de l’air mais l’Alsacienne ausculte malgré tout le ciel avec méfiance. On n’annonce les fêtes rituelles des saints de glace que pour la première semaine du mois de mai et la lune rousse, la traîtresse, peut encore sévir. Elle sera noire cette nuit 29 avril. Ce qui, déjà, n’augure rien de bon en matière de grandes décisions nationales. Elle sera éblouissante dans le ciel de notre bel hexagone le 15 mai et les risques de gels tardifs deviennent bien réels. Pourtant l’Alsacienne a hâte d’accrocher ses balconnières à ses fenêtres. Ses précieuses boutures de géraniums sont d’ores et déjà flamboyantes. D’ailleurs, les dépliants publicitaires des supermarchés arborent depuis un mois les belles couleurs du printemps. Les jardineries ont balayé devant leurs portes et nettoyé leurs allées pour recevoir dignement leurs clients pressés de jouer à la main verte. Toutes les maîtresses de maison de France et de Navarre ont désormais soif de couleurs à leur balcon pour narguer leurs voisines, de bordures rutilantes de chaque côté de l’allée traversant leur jardinet pour accueillir dignement le facteur et d’énorme bouquet en vase sur la table de leur salle à manger pour faire briller l’œil de leur mari. Quand la nature entre en effervescence, la citadine bouillonne d’impatience. Combien se rendront à bicyclette aux consensuels échanges de semis, de greffes, de marcottages et autres écussonnages organisés par les associations de parents d’élèves et les clubs du troisième âge ? Le danger est grand en effet de voir se renverser sur la chaussée dès le premier virage le vilain cageot posé sur le porte-bagage et rempli des belles pousses à repiquer. Adieu alors promesses d’éclatants parterres d’œillets d’inde et de sauges, adieu espoirs de jardinières dégoulinantes d’inflorescences de pétunias, adieu les compliments aigres-doux des amies devant le déchaînement de coloris et de parfums des potées garnissant la terrasse. La citadine prendra donc sa voiture. Et tant pis pour le CO2 ! Grâce à Dieu, la nature est bonne fille. Elle a déjà tout prévu. Les grosses têtes du GIEC peuvent se reposer sur leur oreiller. Les émissions de gaz à effet de serre ne vont pas exploser à cette occasion et le climat se réchauffer encore un peu plus. Les arbres qui jalonnent le parcours des citadines en route pour s’inscrire au concours départemental de la platebande la plus fleurie vont en absorber l’excédent. Et plus les arbres sont âgés, plus ils en absorbent. Un fayard centenaire de 45 m de hauteur peut non seulement héberger entre ses racines de succulentes girolles mais aussi fixer, en un an, la quantité totale de carbone contenue dans un vulgaire châtaignier de taille moyenne. En un mot, il appert que plus ils sont vieux, plus les arbres sont utiles. Exactement comme les vieux bougons râleurs, grincheux et malcommodes. On voit par-là qu’en soignant avec amour les cheveux blancs de nos anciens, nous rendrons notre vie plus harmonieuse encore et nous aiderons le monde à tourner un peu moins de guingois.
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