À propos de Trio pour violoncelle seul d’Hubert Auque.
Un bel hommage romanesque à Pablo Casals.
La figure doublement admirable de Pablo Casals, immense violoncelliste et résistant au fascisme doublé d’un pacifiste résolu, a déjà suscité maints ouvrages, d’ailleurs cités à la fin de celui-ci.
Or le roman d’Hubert Auque, auteur français d’origine catalane qui publia son premier livre en Suisse romande (prix Georges Nicole 1991) a cela de particulier, d’intéressant et d’attachant, qu’il module les approches du musicien, et de la musique en général, en multipliant les point de vue de trois personnages qu’on pourrait dire le Vieux Maître, l’Amateur éclairé et la Jeune Soliste prodige.
« J’ai voulu croire », dit ainsi le vieil ange, « croire en la part divine de la musique, cette part qui nous élève hors de l’emprise du quotidien. La musique n’est que peu si elle n’est que belle à écouter ; sa valeur essentielle est de nous transformer. Ce fut depuis mon plus jeune âge mon credo ».
Dans la foulée, nous apprenons, par Manuel l’érudit, qu’à douze ans déjà Pau « cassa » certaines pratiques figées, dans la technique du violoncelle, pour en élaborer une nouvelle ensuite admise dans le monde entier. Or, près d’un siècle plus tard, Manuel constate que sa fille Ana cherche elle aussi de nouveaux doigtés sur son violoncelle, et développe une relation toute personnelle avec ledit instrument. Alors le père de comprendre que, quitte à contrarier le professeur, il a meilleur temps de la laisser faire à sa tête, qu’elle a aussi dure que sûre. Ainsi lui lance-t-elle crânement, quand il évoque sa future carrière de soliste, que jamais elle n’enregistrera ni ne se pavanera en « robe tralala ».
Bien ancré dans les lieux où Casals a vécu lui-même, notamment à Prades en Catalogne, le roman entremêle plusieurs thèmes (la ferveur de l’amateur et ses limites, le don, le travail, la relation entre existence et vie artistique,etc.) dont celui de la filiation, plus spirituelle que biologique évidemment, est central.
Georges Enesco dit quelque part que Jean-Sébastien Bach nous prouve que l’homme est« capable du ciel », et c’est aussi ce qu’on peut se dire en écoutant Pablo Casals jouer les Suites du même Bach.
Mais le mérite du roman d’Hubert Auque, bien arrimé à la trame biographique de Pablo Casals, sans encombrement documentaire pour autant, tient à rappeler aussi les composantes « militantes » de la vie de ce résistant antifasciste indigné par la complaisance des nations européennes à l’égard de la dictature franquiste après avoir refusé de jouer en Allemagne nazie.
Enfin, sans tomber dans le fétichisme, Hubert Auque souligne l’importance cruciale de l’instrument lui-même (le « Matteo Goffriller » dont Ana aura finalement l’autorisation de jouer par le truchement de Marta Casals), évoqué comme un véritable être vivant et vibrant – mais qui ne vit et vibre que sous certains doigts ! Ainsi Manuel, à jamais privé de « grâce », ne pourra-t-il « faire chanter » l’instrument en question, contrairement à sa fille.
Cependant, l’amour de la musique, autant que l’amour de la vie ou des gens, ne se borne pas à une affaire de « don », même si celui-ci reste rare. De fait, un musicien surdoué peut n’être qu’un cœur sec. Or Manuel à sa façon désintéressée, autant que sa fille, Pablo le généreux ou l’auteur lui-même, semblent-ils également capables de ce qu’on appelle l’intelligence du cœur.
(Hubert Auque sera présent au Salon du Livre de Genève, ce samedi 3 mai, pour dialoguer avec JLK sur le thème de l’Ailleurs en littérature. Scène suisse, à 18h.)