" Enfant né de la liaison musicale entre les six Français du Chauffeur Est Dans Le Pré et quatre touaregs maliens, Imidiwen exploite à bon escient sa double culture pour offrir d’autres horizons au blues rock du Sahara. Sans pour autant s’affranchir complètement de l’ombre tutélaire de Tinariwen qui plane sur son nouvel album intitulé Image de Kidal.
Alors que l’industrie musicale ne parle que de réduction des coûts et ratiboise tout ce qui dépasse, que la rentabilité a été érigée en principe absolu, Imidiwen s’apparente un peu aux habitants du village d’Astérix : dix irréductibles musiciens qui combattent le marasme ambiant et font montre d’une capacité de résistance aussi stupéfiante que réjouissante.
Pour donner vie à leur rêve – déraisonnable au regard des obstacles financiers, des tracasseries et incertitudes administratives. Neuf ans après les premiers concerts "officiels" sur le sol français et douze ans après la première rencontre sur le territoire africain, cette aventure un peu folle dure encore. Plus que jamais, est-on même tenté d’ajouter, après avoir remarqué un détail significatif : si Image de Kidal est le quatrième album de cette association franco-malienne, cette fois le nom qui figure sur la pochette du CD n’est plus celui de la moitié française, mais celui qui les réunit, Imidiwen. "Les amis", en tamasheq.
Pour les membres du groupe montpelliérain Le Chauffeur Est Dans Le Pré, c’est aussi une façon de rendre plus claire la distinction entre leurs activités. Lorsque leurs complices maliens les rejoignent, ils mettent de côté leur formation aux accents balkaniques pour se consacrer entièrement à leur projet commun autour de la musique touarègue.
Au fil des séjours, le temps passé ensemble représente quasiment une année pleine, remarque Manuel Wicquart, clarinettiste. De quoi renforcer cette proximité qu’ils avaient pressentie instinctivement à leur voyage initial de deux semaines dans l’Adrar des Ifoghas, plateau du Nord-Est du Mali. "C’est comme si nous étions faits les uns pour les autres”, confie Yaya Samaké, chanteur et guitariste. "C’est facile de s’entendre dès qu’on a compris les différences culturelles et qu’on a pu les accepter", abonde Manuel.
Les guitares du désert se sont mises à dialoguer avec les cuivres, la contrebasse, l’accordéon…"Quand on a organisé la première tournée, on a bien dit à ceux qui nous achetaient le spectacle que ce projet nous tenait à cœur. Mais on n’avait aucune garantie de ce qui allait en sortir musicalement. Nous nous étions rencontrés dans des campements, on avait fait des bœufs, et notre histoire musicale s’arrêtait là. Nous étions chacun sensibilisés aux couleurs musicales des autres, mais on n’avait pas encore fait le mariage", rappelle-t-il.
Deux jours de répétitions ont suffi à faire apparaitre un "langage commun" qui, s’il a beaucoup évolué depuis, découle toujours de cette étincelle originelle. Les emblématiques Tinariwen, hérauts de la scène touarègue, ne sont pas loin. Certaines de leurs œuvres sont revisitées sur ce disque enregistré en trois jours, dans des conditions de live.
Sur quelques-uns des nouveaux titres, des intonations drum & bass ont été apportées par le percussionniste du Chauffeur Est Dans Le Pré, qui a cherché à faire partager son expérience en musique électro-acoustique, acquise au conservatoire. Au chant, le berger griot Al Housseini Ag Assadeck se lance dans un récit, jamais figé, rythmé par les modulations de sa voix. La transe n’est plus très loin. "
Bertrand Lavaine RFI
Télérama n° 3015
« Entre mer et désert », disent-ils. Les uns vivent dans le sud de la France, les autres au nord du Mali. Le Chauffeur est dans le pré était à l'origine une formation montpelliéraine de « musique festive et balkanique ». Un voyage de l'accordéoniste Thomas Ball, il y a sept ans, en pays touareg, a changé le destin du groupe. Depuis, une intense complicité avec les imidiwen (« amis ») chanteurs et guitaristes rencontrés alors a donné lieu à plusieurs disques. Celui-ci est à la fois le plus abouti et celui où les musiciens français s'impliquent le plus.
L'âpreté des mélopées nomades de Nina, Moussa, Yaya et Keli reste au coeur de la rencontre portée par les fameuses guitares bluesy popularisées par Tinariwen. Des effluves d'accordéon, des échos de reggae, un saxophone jazzy, une clarinette basse introspective s'y insinuent, aérant le propos sans l'altérer. La répétitivité inhérente à ces musiques conçues pour les veillées au clair de lune n'a pas tout à fait disparu, mais la plupart des écueils (la fusion par exemple) sont évités. Après la vague touareg, souvent décevante, de l'année dernière, voici peut-être venu le temps de défrichages plus prometteurs.
Eliane Azoulay