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Une nouvelle a lire

Publié le 05 mai 2014 par Majic

C'est une nouvelle que j'ai gardé au fin fond de mon ordinateur et que je vous invite à lire

FATAL EBLOUISSEMENT

Je t’aurais appris à freiner tes ardeurs dans tes moments de grâce et d’exaltation outrancière et je t’aurais aidé à ouvrir les yeux pour que tu reconnaisses enfin ta qualité d’infime grain de sable dans les rouages de l’univers. Car tu es si hautain, si méprisant, si dédaigneux lorsqu’il t’arrive de croire être à la place de ton Créateur.
…………….
Ecoute ! Si on t'avait dit qu'un jour, tu marcherais à pied, le long de la route, avec un jerrycan d'essence au bout du bras, tu ne l'aurais pas cru. Pas sur la nationale qui passe derrière chez toi, pas à cinq minutes à pied de ta villa. On tombe en panne au bout du monde, au coin d'un bois, au bord d'une falaise, aux portes du désert, pas dans l'allée de son garage, entre le portillon électrique et la boîte aux lettres. Pourtant, cette nuit, tu marches et tu sais que la station-service la plus proche est à douze kilomètres. Une fameuse distance, à tailler dans le noir, guidé par la peinture blanche au bord de la route, la silhouette des poteaux parfois et la lumière aveuglante des phares, de temps à autre.
Les voitures te dépassent sans s’arrêter. De nos jours qui donc pourrait s’apitoyer sur le sort d’un malheureux marcheur de nuit ?
Un homme seul au bord de la route, ça fait peur. On appuie sur la pédale, le moteur gronde et toi, toujours silencieux, tu vois les feux rouges s'éloigner, rapetisser puis disparaître. Tu marches sans tourner la tête et cette solitude te fait un bien fou. Même si le bidon de plastique pèse dans ta main, même si le bruit de l'essence secouée flique et floque au rythme de tes pas, tu savoures le calme de cette route de nuit.
Tu te demandes d'ailleurs pourquoi tu marches si rarement, pourquoi, comme tous les autres, tu t'assieds derrière ton volant pour le moindre déplacement. Sans doute parce qu'on a toujours payé ta voiture, ton essence, ton assurance. Parce que tu travaillais pour une des plus grosses compagnies pétrolières aussi. Tu roulais en quatre-quatre comme tu portais la cravate, le costume trois pièces et les valises pleines de billets pour graisser les rouages des administrations un peu poussiéreuses. Tu en as vu, du paysage : des pays sans touristes en Asie du sud-est, des coins reculés en Afrique et des anciennes républiques soviétiques, dont tu n'as pas même retenu les noms; tous ces paysages, tu les as regardés de haut tandis que ton jet atterrissait, puis défiler derrière les vitres teintées des voitures de fonction, avec chauffeur et air conditionné. Tu avais de la chance, c'est ce que tout le monde disait autour de toi, un boulot bien payé, qui te faisait voyager, un employeur royal, qui n'avait jamais hésité à récompenser ta fidélité : vacances au Vanuatu, aux îles Fidji, à la Barbade, tu aurais pu te lasser des îles et des mers vertes mais tu as profité de tout ça sans compter et tu n'as jamais imaginé que tout cela pourrait avoir une fin.
Et te voilà, dans une aventure que tu ne pouvais même pas imaginer, un jour en être l’acteur.
Un acteur pris au piège tendu par le témoin lumineux d’une jauge d’essence stupide au tableau de bord de ta voiture qui n’a pas daigné s’allumer lorsqu’il le fallait.
Mais la vie, tu l’admets, toi l’habitué des changements, est ainsi faite de surprises, de faits subits auxquels on est toujours loin de s’attendre.
Où suis-je donc ? Te poses-tu la question combien ai-je parcouru de kilomètres depuis que je suis reparti de la station service ?
Tu commences bien à te poser des questions car voilà que tu ressens quand même un peu de fatigue et que tu commences bien à sentir le poids du jerrycan plein au bout de ton bras. Ton cœur bat un peu trop à ton goût et tu ressens même une gêne, un genre de brûlure au milieu de la poitrine, mais, te dis-tu : ça va passer, ça ira.
Et dans ta fatigue et ta marche forcée voilà que tu arrives maintenant à hauteur d’un carrefour et là tu te dois de te poser une autre question bien plus embarrassante celle-là :
-Je ne me suis pas rendu compte de l’existence même de ce carrefour en venant tout à l’heure ! Peut-être qu’au moment exact de mon arrivée à son niveau j’étais tellement préoccupé et pressé d’arriver à la station, le jerrycan vide (j’avais des ailes en quelque sorte) que j’ai dépassé le coin sans me rendre compte qu’il y avait un croisement de routes à cet endroit.
Ou alors, peut-être bien aussi que des phares de voiture venant en sens inverse à ce moment-là précis, m’auraient aveuglé au point de ne pas m’en être rendu compte.
Tu es bien obligé maintenant de t’arrêter complètement et de ne reprendre ta marche que lorsque tu auras répondu à cette autre question encore bien plus grave : quelle voie des deux emprunter pour revenir à l’endroit où tu as laissé ta voiture? Par où es-tu donc venu ? Par la voie de gauche ? Par la voie de droite ?
Réfléchis bien, c’est sûr avec ces ténèbres envahissantes, tu n’es pas près de bien pouvoir t’orienter mais concentre-toi tu trouveras bien la bonne issue.
Comment toi, qui as l’habitude de répondre à des questions si importantes de stratégie concernant la voie à suivre pour que la grande société pétrolière qui t’a nourri jusqu’à présent puisse déboucher sur des solutions économiques viables, sur de larges bénéfices,
Toi qui a contribué au rayonnement de tout le groupe pétrolier qui est maintenant une grande et tentaculaire multinationale,
Toi le fin stratège et l’intelligent dirigeant émérite qui as jeté des ponts là où d’autres ont hésité puis échoué,
Toi qui concocte des accords commerciaux décisifs là où de prime abord la moindre approche relevait de l’utopie.
Toi qui as toujours su prendre des risques et transgresser certaines règles figées et dépassées.
Toi le rusé négociateur qui es arrivé à obtenir par ta diplomatie des périmètres d’exploitation dans des pays hostiles même à l’implantation de ta compagnie pétrolière chez eux,
Toi, enfin, tu n’arrives pas maintenant à résoudre cette petite équation qui se présente à toi ?
Oui, dès lors, tu es bien obligé de t’en remettre à un raisonnement par l’absurde : tu es à peu près à mi-chemin du retour donc tu n’as qu’à prendre la voie de droite et compter en marchant à peu près pendant six autres kilomètres et si tu ne trouves pas l’endroit où tu as abandonné ta voiture tu rebrousseras chemin et une fois revenu à ce carrefour, tu reprendras alors à gauche et là tu es sûr d’être sur la bonne voie. N’est-ce pas là un raisonnement juste à défaut de trouver une autre solution ?
Un vent glacé semble maintenant soulever les feuilles mortes des arbres du bois tout proche et à bien regarder autour de toi au moment de cette halte imposée, tu perçois vraiment ta solitude. Et cette solitude est d’autant plus marquée par la raréfaction des voitures sur la route ! Tout à l’heure, il y avait bien plus de voitures qui allaient et venaient dans les deux sens de la route en la balayant des faisceaux lumineux de leurs phares et là à ce croisement il semblerait que les automobilistes se soient donné le mot : aucune voiture depuis que tu es là.
Il te faut maintenant prendre ta décision de continuer ton cheminement en allant vers la droite ou vers la gauche.
……..
Tu as pris, en ton âme et conscience la route de droite, tu te sens un vainqueur né et tu es convaincu que ta bonne étoile te mènera au bon endroit. Tout à l’heure, lorsque le vent s’est levé au carrefour, tu ne voulais pas remarquer cette lueur bleutée qui s’estompait puis réapparaissait tout au fond du bois et là maintenant que tu te rapproches de ce bois encore plus sombre, le ciel devenant de plus en plus caché par les arbres, cette lumière s’est encore fait voir de façon bien plus nette !
Que signifie donc cette lumière ?
Tu es loin du carrefour et la masse très sombre et ténébreuse de la foret dense te noie tout à fait ! Réfléchis bien, serais-tu donc passé par là en allant vers la station ? As-tu déjà ressenti cette impression d’étouffement tout à l’heure en venant ou alors étant passé en coup de vent tu n’as pas ressenti cette peur qui dorénavant t’envahit ?
Oui, tu as de plus en plus peur et tu commences à t’affoler, tu as peur de ne pas avoir pris la bonne décision au carrefour : à droite, à gauche ?
Mais tu as peur aussi d’autre chose, tu as peur de quelque chose d’indéfini, de cet environnement hostile, de ce noir absolu et de tout se qui se cache derrière que tu ne sais même pas imaginer.
La fameuse lumière remarquée tout à l’heure au carrefour est là juste en face. On dirait qu’elle s’accroche à un des arbres surplombant le fossé, puis elle change d’arbre où s’accrocher et elle en change de plus en plus, elle suit ta progression, toi sur le milieu de la chaussée, et cette boule de lumière de tronc d’arbre à tronc d’arbre !
Non ne t’affoles pas, ne lâche surtout pas le jerrycan d’essence, tu en as besoin, tu vas redémarrer ta voiture avec…..
Fixe bien des yeux cette illumination. Qui est donc derrière cette lumière ?
Oui tu peux crier ! Crie de toutes tes forces mais ne t’emballes pas, toi qui as toujours su trouver les solutions qu’il faut…
La lumière serait-elle sensible à ton cri, elle s’estompe, peu à peu….elle s’éteint !
Ouf !
Tu commences à te rendre compte que tu n’as pas pris, finalement, la bonne décision, car voilà qu’apparaît maintenant tout au bas de l’accotement, une clairière avec juste quelques arbres parsemés et au milieu de celle-ci : un cimetière !
La lumière refit surface mais cette fois-ci elle est moins vive et elle parait dorénavant occuper le sol en s’épanchant peu à peu telle la progression d’une brume.
Tu penses que ceci est tout à fait normal car comme te l’a expliqué feu ta grand-mère, dans les environs de tout cimetière il se dégage toujours ce genre de gaz bleuâtre qui provient des os des morts enterrés là.
Tu halètes et tu voudrais tellement rebrousser chemin car cette fois-ci tu as la preuve que ce n’est pas le bon chemin mais qu’est-ce qui te retient de faire marche arrière et de t’en aller prendre l’autre route au carrefour là-bas ?
Tu es là, hébété, à admirer le tableau de ce cimetière qu’éclaire maintenant tout à fait la lumière de tout à l’heure et tu te sens bien.
Tu es fatigué, ton cœur bat trop et atteint des sommets à ton sens. Tu regrettes de ne pas voir fait du sport tel que t’a toujours préconisé ton médecin
Tu t’oublies ! Tu oublies ta voiture et ta société de pétrole et ta famille et tes amis et tout et tout. Et tu es accaparé par la vision de ce spectacle grandiose à tes yeux, de ce cimetière implanté là et tu veux voir plus, beaucoup plus. Tu es irrémédiablement attiré par la parure et la beauté du décor, la lumière change de couleur et de lugubre l’endroit devient pour toi un plateau éclairé et si beau à voir.
La lumière se rétrécit, prend la forme d’une boule lumineuse puis s’approche de toi, enjôleuse, câline et envoûtante et tu acceptes son invitation….
Tu t’assoies sur le bord de la chaussée et tu te laisses aller. Tu penses que la vie a toujours le dernier mot car à force de changer les choses on en arrive bien un jour à voir changer son propre état et tu sens que tu vas assister cette fois-ci à un irrémédiable passage à une autre situation ! La lumière se métamorphose encore et devient tourbillonnement de soie et de duvet et son œil central si visible et si lointain t’attire, t’hypnotise et le doux maelström inoffensif accepte de te prendre en son doux et délectable sein.
Ta respiration s’accélère, tu ne sens plus le froid envahir ton bras ankylosé par le jerrican désormais tout au fond du fossé. Tu fermes les yeux pour ne plus voir le cimetière éclairé et les ténèbres qui l’entourent et tes yeux se rouvrent indépendamment de toi
Les sapeurs-pompiers sont arrivés trop tard et le constat du médecin de secours qui les accompagnait est sans appel : arrêt cardiaque !

Abdelmadjid ADOUR


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