éditions L’herbe qui tremble, 2014.
Lecture de Cécile Oumhani
PAR-DELÀ LA CONSCIENCE DE CE QUI S’EN VA
Fragiles passants, nous allons, épris d’horizons que nous sommes voués à seulement entrapercevoir. Notre marche est le seul trait que nous sommes à même d’inscrire au front du temps et de ses paysages. Trait bref et fugitif bien vite effacé par la neige ou par la nuit... Le nouveau recueil de Max Alhau, Le Temps au crible, est un cheminement porté jusqu’à l’extrême lisière des choses, là où s’amenuise l’être, dans le vertige de l’inconnu et de l’inconnaissable. Poèmes et proses poétiques sont ici regroupés en cinq mouvements distincts dans leur tonalité, du premier, intitulé « Une brassée d’air », vers cette « Terre d’asile », qui marque un retour vers des lieux évoqués dans leur singularité et dans leurs couleurs. Chacun de ces mouvements est ponctué par une peinture de Bang Hai Ja, où les couleurs se déclinent en subtiles variations sur un même thème, qui accompagnent superbement les différents versants du recueil.
Le livre s’ouvre sur une invitation à la vie et à son exploration : Fie-toi aux mirages / qui t’indiquent la route / romps le pain avec le vent. L’appel est lucide et nomme « précipices », « torrents » et « tourmentes » qui sont le lot du quotidien à venir. Mais il est aussi promesse de ce pays / où s’absentent les ombres, / où s’enracinent les éclairs. Il est ce que le lecteur garde en mémoire avant de poursuivre la méditation sur notre passage au monde où nous entraine le poète. Je dirai passage plutôt que présence, car dans ces poèmes, c’est en notre pas que se logent force et élan de vie, face à ce qui inéluctablement se dérobe à nous. Un jour, le vent, l’air nous enlèvent / et nous laissons notre ombre en gage. La mouvance de la quête est affirmation de l’être en nous qui persiste et s’acharne, au-delà de la fragilité et de la contingence.
Si le poète parle de notre « présence si diaphane », il évoque aussi Ce qui se conquiert à force de mots, / de pas incrustés dans la terre. Notre passage se trace avec l’énergie de ces pas qui parcourent sans relâche les sentiers du temps. Il s’inscrit aussi dans la grâce dont les mots sont porteurs. On nomme un chemin, un arbre ou un oiseau. Ainsi On est juste sûr/ de leur présence./ Avec eux on résiste/ à l’érosion/ à la douleur. Les mots ont la légèreté du souffle et des ombres mais c’est en eux qu’il faut chercher l’apaisement et une réconciliation possible avec le temps. De la plus reculée des galaxies à la plus humble fleur – violette ou renoncule – tu peux te perdre dans l’infini dont tu connais seulement le nom qui le désigne.
Au fil des pages de ce recueil s’ajoutent au viatique des mots et des pas les lueurs offertes par de discrètes présences, une odeur de fleur ou le cri d’une sarcelle, ou par celle du paysage retrouvé après la saison. Par-delà la conscience de ce qui s’en va et de ce qui finit, ces poèmes sont une célébration des mots, capables de transcender la finitude. Quand on aura mis le feu à la dernière bûche, il restera la mémoire du bois et la cendre n’aura pas droit de conquête.
Le recueil de Max Alhau explore les ombres, puis rejoint ce qui répare et ce qui apaise. Il nomme les versants secrets qui nous effraient pour rejoindre les petites joies nichées dans les paysages d’altitude qui lui sont chers.
Cécile Oumhani
D.R. Cécile Oumhani
pour Terres de femmes
MAX ALHAU
Source
■ Voir aussi ▼
→ (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Max Alhau
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