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Dominique Maurizi, Fly par Isabelle Lévesque

Publié le 06 mai 2014 par Angèle Paoli
Dominique Maurizi, Fly,
Éditions Les Arêtes, 2014.


Lecture d’Isabelle Lévesque



[« VOLER À TRAVERS TOUT, C’EST LA PLUS BELLE DES CHOSES, NON ? »]

« La vie c’est le souci du sable. Fly. Ici ne passe toujours que la lumière. Toujours ? Si je pouvais je ne m’y frotterais pas. Mais comme d’une idée, te dis-je, une autre surgit. Même ici. Par le milieu d’un soir ou milieu d’un matin. Si j’étais flamme, non, je ne sais pas bien dire quelle serait ma durée, ou cela seul peut-être, ici ne passe que la lumière, car l’air autour de tout ça – tremble. »

Le poème laisse entrer les syllabes. « Ta ». « Fly ». Elles avivent des mots que le texte en prose roule sous ses doigts de jour. Lorsqu’elle écrit, la voix pose sur le paragraphe des morceaux de phrases qui existent à part, là où décante le dire comme si l’oral — la voix — inventait en même temps les poèmes.

Je découvre Fly de Dominique Maurizi, édité par Les Arêtes. Feuilles liées par un cordon comme l’enfant rassemblerait son journal pour le montrer à sa mère aimante et curieuse. Elle y reconnaîtrait des mots d’alors. « Tagada ». Elle le répéterait pour entrer sous les plumes d’une aile légère, fabrique de vent et de sons, le galop en onomatopée, le nom des fraises d’enfance laissant la bouche rouge de sucre. Sur la langue, les mots trébuchés se livrent. Pour que le texte (la mémoire) s’ouvre, où est le sésame ?

« Sur la terre comme au ciel, trois soleils d’or. À mon esprit de les connaître. Mais tout se meurt, s’en va, s’éloigne si vite ! Ainsi se mit une chose étrange à me parler, et mes soupirs furent pris de gaieté. Lève la tête la nuit vers le ciel et tu verras la terre de la Nuit en Ciel – on tremble. Je tends mes bras, j’écarte mes doigts. Voler. Au milieu d’un chant, des deuils, des cendres. Voler. »

Fly offre une intense chevauchée sur le dos d’un cheval ailé. Le texte galope sur la Terre et dans le ciel, l’espace. Survol de limites et deuils, ivresse d’altitude et de vitesse qui secoue la tristesse.
Au sol, les pleurs et les regrets quand « lever la tête » ouvre à l’envol, par la voix, l’écriture, la prière ou les vœux.
Pour lutter contre les peines et les deuils, l’écriture et l’amour (« je prie pour un baiser »).

Des lettres ajoutées les unes aux autres regardent entrer « une saison », « d’indicibles fleurs, animaux et cailloux ». Marquent-ils le chemin de l’enfant perdu s’ils sont blancs ? Restent-ils dans la voix lorsque le noir leur fait rejoindre l’encre ?
Parfois l’oralité des répétitions magiques cogne dans le texte :

« Vite, une saison pour mon cœur, vite. »

Il suffirait de la baguette souple d’un coudrier pour toucher le silence et le faire parler, le vœu enclos entre les adverbes redits sera exaucé. Dans le vol, Fly, se concentrent des forces nouées à l’écriture. Le mot active les lèvres et livre des tours :

« De vent et d’eau ma main est pleine ».

Formulation courte, cette fois encore, pour le constat gorgé d’éphémère et de rêve.
Les rythmes cependant diffèrent dans le livre. De l’envolée, il peut naître une phrase longue, aérienne poussée vers le ciel :

« Du bout de ma plume je pique océans et montagnes, je pique des galops sous les grandes étoiles. »

Et puis le mot coupé par un point qui ne l’arrête pas mais le lance – l’air est rebond :

« Voler » ou « [v]astes. »

C’est simple, apparemment. Ponctué d’injonctions (« écris »), qui égrènent l’évidence, l’écriture et le galop unis. Volonté posée, arrêtée sur quelques termes qui dénouent la clôture du temps ou de la mémoire. La prose suit le premier texte en vers : « maman » et « fly » s’y répondent pour être explorés. Fly deviendra mot d’ordre, traduit, explicité : « voler », « [l]ève la tête, bascule tes yeux d’avant en arrière puis couche-toi pour regarder le champ et le ciel, le ciel et les champs ». Inversion, dans un groupe nominal, le désordre sème l’appel comme les incursions enfantines dissolvent une logique qu’il faut lever pour regarder. Mots isolés fréquents, à l’attaque des paragraphes, ce sont les clefs des phrases à suivre : certaines, nominales ou constituées d’un seul adjectif, suivront encore, le temps que s’imposent les éléments perçus : « [a]insi se mettent des lèvres à me parler. J’en tremble. De vent et d’eau ma main est pleine. » Le sens va glisser dans un même verbe :
« Du bout de ma plume, je pique océan et montagnes », sens propre et sens figuré en suspens hésitent puis « je pique des galops sous les grandes étoiles ». Précipitation, hâte enthousiaste et Pierrot de la lune.
Des adjectifs simples (grand, petit), ceux des enfants dans leur soif empirique de dire le monde, vont l’amble du champ sémantique élargi ou restreint selon les emplois. « Écrire n’est pas difficile. C’est énorme. » Bouche d’ogre, pour le lecteur, dans ses oreilles d’enfant, une voix de conte ou de poésie le soulève à sept lieues :

« et les bottes des cactus sont celles de Chat Botté si Dieu les porte »

Les bottes de l’ogre permettent de franchir l’espace mais aussi de surmonter les difficultés, celles du plus jeune fils du meunier dans Le Chat botté par exemple. Ses vertus magiques servent les héros des contes qui nourrissent l’écriture de Fly Le franchissement, la hâte rencontrent la lenteur, la durée : « C’est l’ardente patience, me dis-je » (référence au roman d’Antonio Skarmeta mettant en scène Pablo Neruda et un jeune poète-facteur chevauchant son vélo ?). Fly, livre où la mosaïque des références rencontre l’enfance du lecteur. Culture commune, fables, comme un pont pour inviter à rompre la pesanteur et regarder où brille.
Le narrateur interpelle, s’adresse à nous qui lisons, petits princes ébahis de l’audace du personnage qui telle la rose nous invite :

« Si tu veux que je m’assoie à tes côtés je le ferai. »

Double maternel, le « tu », voix sur le bord du chemin, elle invite à trouver des « trésors » en modulant l’intensité (les pistes – les directions, le cheval au galop lance les mots) :

« À d’autres tu souffles, pour d’autres tu pries. »

Langue simple, perméable au souffle de l’enfant, du lecteur, réfléchissant en marchant comme on regarde le ciel d’étoiles la nuit (le jour), on l’imagine et les mots qui viennent ne sont plus inversés mais lissés dans le cheminement naturel de la voix au rythme des découvertes :

« Fly – voler à travers tout, c’est la plus belle des choses, non ? »

Cheval ailé, les nuages traversés disposent des cohortes d’étoiles et de mots :

« tagada, tu entends ?, c’est la musique des sabots de mon cheval et je veux bien être son âne. »

L’âne qu’Abraham s’empresse de seller quand Dieu lui ordonne de lui sacrifier son fils ou âne « si doux » qu’aime tant Francis Jammes, animal-poète : « Mon amie le croit bête / parce qu’il est poète. »1
Pas d’affectation, la langue est celle des découvreurs posant le pied sur l’île. Les animaux parlent, s’éveillent, le cheval devenu hippogriffe ou Pégase par les ailes que le texte éparpille en prophéties accomplies sous forme de phrases conclusives ou initiales :

« Ainsi se mit le ciel à me parler. » / « Ainsi se mettent des lèvres à me parler. J’en tremble. » / « Ainsi se mit la mer à me parler. »

Les frontières poreuses « sont un miracle sur du papier ou le clavier », les mots dans leurs finales se rappellent comme répondent les ailes à la bouche d’oracle qui s’attache aux étoiles, au ciel, aux fraises où tout est « vaste », autre clef adjectivale, infinie. L’écriture absorbe l’impossible en syllabes concassées retrouvant sur la page cette forme naïve retentissante des poèmes ou comptines. « Ta », ce ralliement fragile, cette union avec ce qui appartient, l’autre tutoyé, « un flocon du ciel », fragile et miraculeux, fly. Le jour parle, tout communique, la lumière peut-être, « l’idiome de juillet ». Concaténation, les pronoms « je-tu » ou leur déclinaison, les déterminants possessifs, se lient. Ils veillent sur « la langue du lit dans laquelle nous dormons toi et moi », une langue plurielle se fixe, elle est adresse :

« Voler – mais je n’aime pas pleurer
j’aime prier. »

Appeler « des mots nouveaux », les glisser sous le cactus qui ouvre le souvenir et la main tendue sous « les plis bleus du ciel ».

« Quelqu’un m’appelle sous les cendres », où brûle poème un corps étreint le cœur, un murmure où l’on entend « tant de sanglots », « [t]rois soleils sans or », des saisons oubliées peut-être dans l’impatience des conquêtes lorsqu’il faut attendre.
S’il faut les nommer « fleur, fly, fléau », après les syllabes finales, les initiales susurrent à dos de cheval « on fabrique des carrosses avec des ronces » (ou des « orties »), « ainsi se mit l’épine à me parler ». Le déchiffrement inlassable d’une écorchure où la griffure passée de l’enfance « car la vie, la mort frappent trop fort si on n’y prend pas garde ». Cactus appelé fleur par l’enfant, nu visage et le rêve aperçu pour la première fois : il enchante. Le retrouver rompt l’impatience, installe la durée d’une observation créatrice et ouverte :

« la langue est une flamme avec manteau, elle danse, s’enroule, ouioui,
l’épi
la roue,
les nuages »,

sur les lèvres un baiser répondra peut-être ou les mots allongés, infiniment déroulés dans la patience de l’instant voué à la naissance. « [C]hant perdu dans le puits », pour qu’il remonte « battant, battant » des ruines. Regarder, laisser voler « parmi les cendres ». Fly. Rouge cœur battant. Tagada. En voyant « mourir les fleurs ». Les noms se rassemblent, retournent à la terre « en mille langues » pour juillet, les fraises, les cactus et si ce n’est pas « véridique » un poème les noue en ciel pour que le nuage en trois soleils d’or survole les saisons. On pense aux exoplanètes découvertes en 2013 par des astronomes, des « boucles d'or » (ni trop chaudes ni trop froides). Hors du système solaire, elles sont trois à tourner autour de leurs soleils. Appartenant à un système stellaire à trois étoiles, on les appelle « planètes Boucle d’Or » en référence au conte Les Trois Ours dans lequel la petite Boucle d’Or choisit la soupe ni trop chaude ni trop froide du plus jeune des plantigrades. Ainsi doit être une planète habitable. De ces autres Terres rocheuses, on pourrait voir trois Soleils dans le ciel, même en plein jour.
L’écriture les fait entrer dans le poème avec le cheval et sa mise. Autant de lumières confondant « voir, voler » car Tagada transporte en un lieu où le soleil multiplié se présente trois fois.
Et les mots répétés reviennent éclaircir la voix de miracles minuscules, attendus et secrets. Les cendres seront sable et modelage de survie où renaître. Une voix d’enfant le dit dans celle du poète.

Isabelle Lévesque
D.R. Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes


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1. Francis Jammes, De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, 1898.



DOMINIQUE MAURIZI

Vignette Maurizi


■ Dominique Maurizi
sur Terres de femmes

→ Dans l’odeur des algues (extrait du recueil Langue du chien)
→ Il y a quelqu’un (extrait du recueil Les Tables des matières)

■ Autres notes de lecture d’Isabelle Lévesque
sur Terres de femmes

→ Edith Azam, Décembre m’a ciguë
→ Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
→ Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
→ Armand Dupuy, Mieux taire
→ Bruno Fern, reverbs   phrases simples
→ Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
→ Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
→ Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
→ Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
→ Hervé Planquois, Ô futur
→ Pauline Von Aesch, Nu compris




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