« Auteurs, lisez, lisez » Tous les grands, les reconnus, les professeurs nous le disent, nous le suggèrent fortement. Comme un devoir, un passage obligé. Comme si, plus vous lisez, mieux vous écrivez. Mieux ou plus facilement? Exercice de l’esprit, assouplissement du cerveau?
La belle affaire, lire les autres, ce n’est pas vrai que ça nous aide. Moi, ça me jette par terre. K.O. Du mal à me relever, du mal à m’en remettre. L’esprit a mal partout, le cerveau est ramolli, devient bouillie, la concentration fout le camp, le vent du doute balaie tous les efforts.
Encore hier, j’ai eu le malheur de feuilleter un livre de Sonia Marmen, pour trouver différentes transitions. Je me disais que dans les mille pages d'un tome (moi qui ai de la difficulté à pondre deux cents pages), j'en trouverais bien quelques-unes de ces transitions de malheur qui me font tant défaut, qu'on me réclame. Aujourd’hui, je récidive avec le dernier roman d’Agnès Gurda. Les deux extrêmes dans le choix des phrases, pas rapport les deux, mais les deux me pétrifient.
Remède drastique : le jeûne complet. Oublie les autres livres. Ne lis pas. Juste ton texte. Enferme-toi, oublie le monde. Le ciel est bleu, le ciel est gris, et alors? Aujourd’hui, ton texte est noir sur blanc, tes corrections en rouge fort. Rien d’autre. Tu ne sors pas tant que tu n’as pas fini ton assiette, pas de dessert.
« Écrivez avec vos tripes », aussi, qu’ils rajoutent ces critiques, ces grands conseillers, ces éditeurs avec ou sans le titre. Faut croire que les miennes ne sont pas encore assez à l’air. Pas accessibles. Pas assez remuées. Ces jours-ci, j’écris plus avec Antidote qu’avec mes tripes.
Je corrige un chapitre, une page, un paragraphe, une phrase. Je cherche le mot juste, la cooccurrence. Je supprime une phrase, un paragraphe, irais-je jusqu’à biffer une page entière? Je remonte cinq pages en arrière parce que plus rien ne se tient. Albertine ne peut pas être célibataire en 1922 et avoir eu un enfant en 1906. Comment ne l’ai-je pas vu? Mais j’y tiens à cette puritaine, à cette bigote d’Albertine. Alors, ce sera sa sœur Marie-Louise. Vingt pages à revoir. Heureusement il y a CTRL F, rechercher-remplacer.
J’imprime un chapitre. Je le lis à haute voix pour mieux voir l'ensemble. Sur papier, je corrige, j’annote. Entre les lignes, dans les marges, et au verso. Pour dix lignes, deux questions, trois vérifications, quatre ratures. Alouette.
J’avance, je recule. Je fonce. Sans émotions, sans mes tripes.
Peut-être à la prochaine révision. Une autre, juste pour me jouer dans le cœur, et dans celui des personnages.