Gilles Plazy | Larguant les amarres

Publié le 10 mai 2014 par Angèle Paoli

LARGUANT LES AMARRES… (extrait)

Dans l’impatience de l’encre le souffle.

Légende cruelle que celle du Verbe originel qui aurait eu pour fonction de rendre impossible toute parole singulière ultérieure ! Tout homme n’aurait eu d’autre mot à dire que celui qui lui aurait été dicté de toute éternité ? A moins que le Verbe initial soit la matière de toute parole humaine à venir…

Le travail artistique implique une grande solitude (ou reconnaissance de la solitude qui à l’homme est essentielle), mais il est bien qu’en celle-là quelques complicités la rendent moins amère. Ne serions-nous pas ainsi quelques-uns engagés, chacun sur son fil, au même Grand Œuvre ? Une communauté spirituelle éclatée. Réseau informel des témoins de l’outre-monde.

La question qui se pose est toujours la même : sinon « qu’est-ce que la poésie ? » disons : « que peut la poésie ? » ou « que puis-je en poésie ? » Vers où va, peut aller la poésie ? Dans quel mouvement peut-elle s’inscrire si elle n’est pas contrainte de se contenir dans la redondance de sa présence ? Et cette question annexe : la poésie ne va-t-elle pas sans théorie ? Comment s’articulent, si elles doivent s’articuler, expérience et théorie ?

La poésie, parole hors norme échappant à la rhétorique, ne se laisse pas contraindre par les règles du discours, par le jeu social du sens enfermé dans ces quatre murs que sont la description, la narration, l’explication et l’argumentation. Ainsi est-elle toujours au risque de l’incompréhension, du délire (c’est-à-dire l’enfermement sur elle-même d’une parole non communicable).

Pousser la poésie dans ses retranchements de langue. Non l’écriture épanchée, mais une quête de l’inconnu, le passage de nouvelles frontières.

Poésie prise entre parole de l’éloge, du lyrisme enveloppant, et parole de la disruption, du langage tâtonnant ou déchiré. Parole prise dans un double danger, d’une part celui de l’ampoulé rhétorique, d’autre part celui de l’incohérence.

Mallarmé : poésie de la langue crispée ; Apollinaire : poésie de la langue débridée. D’un côté la contraction de la glotte, de l’autre le flot de la parole. Deux manières opposées d’enfreindre la loi du discours.

Gilles Plazy, « Larguant les amarres », in Les mots ne meurent pas sur la langue, éditions isabelle sauvage, Collection 120°, 2014, pp. 12-13.





GILLES PLAZY

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le catalogue des éditions isabelle sauvage [PDF]



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