Fabuleux atelier d'écriture, comme toujours.
2 janvier 2074
8 – 10 h : consult cancéro
10 h : confér « cellules souches et survie au-delà de 175 ans »
12 – 13 h : Alice
14 – 16 h : consult cancéro
16 h : drink nouvel an + 7
17 h : Adeline
19 h : c/o parents Isa – ne pas oublier champagne
Benoît eut du mal à se lever. Encore grisé par les vapeurs d’alcool de la veille. Chaque année, il se promettait de ne plus succomber aux charmes festifs, chaque année il y succombait. Il était si faible.
A ses côtés, Isa dormait encore. Il prit une douche rapide et, tout en s’essuyant, admira son reflet dans le miroir. Pour ses 52 ans, il se trouvait encore bien conservé. A peine quelques rides d’expressions. Deux trois cheveux blancs sur les tempes. Le Botox faisait toujours des miracles. De même que l’Eternox et le Vivox, qu’il avala avec un fond d’eau, comme chaque matin.
Il rejoignit la chambre pour s’habiller et réveilla Isa d’un baiser distrait. Elle grommela quelque chose d’incompréhensible et se décida à aller réveiller les enfants. C’est tout ce qu’elle avait à faire, s’occuper des enfants. A 43 ans, elle avait la belle vie, se dit-il. Une vie de « femme de », comme il aimait le penser. Femme de Benoît Vassart, Nobel de médecine, excusez du peu.
En s’habillant, il continua à profiter du si beau reflet que le grand miroir ancien de la chambre lui offrait. Sans rien avaler, il gagna ensuite l’hôpital pour une journée somme toute légère, l’année démarrant à la façon d’un diesel.
En pédiatrie, il guetta l’arrivée de la jeune Alice, qu’il tentait de mettre dans son lit depuis deux mois déjà. Il n’avait pas l’habitude d’une telle résistance. En général, un sourire, la blouse blanche, l’alliance dans la poche, et le tour était joué. Mais cette Alice, elle se refusait à lui. Et plus elle résistait, plus il la voulait. C’en était devenu une obsession. Il ne pensait plus qu’à ses longs cheveux noirs, à ses yeux clairs, à son corps si ferme, dont il ne ferait qu’une bouchée. Car elle avait enfin accepté un rendez-vous. Juste un lunch ce midi. Mais c’était un bon début. Par expérience, il savait qu’une fois ferrées, les poulettes étaient prises au piège de son charme ravageur.
Alice arriva et Benoît s’approcha d’un air nonchalant. Il lui demanda discrètement si ça tenait toujours pour ce midi. Elle acquiesça et il sentit en lui gonfler le plaisir de la victoire à venir. Du nouveau trophée qui s’annonçait. Tout à ces pensées, il se dirigea vers son bureau pour les consultations de cancérologie pédiatrique. Depuis sa découverte du traitement unique pour les moins de seize ans, qui l’avait propulsé au firmament des stars de la médecine, et par conséquent dans les draps de dizaines d’infirmières et de futures docteurs, les consultations de cancéro étaient presque une partie de plaisir. Plus de larmes au diagnostic, plus de deuil potentiel. Une injection et voilà, au revoir, gardez-le au chaud deux jours et il sera rétabli. C’en était devenu banal. Il en regrettait presque le temps de l’angoisse de la récidive et des métastases, qui lui apportait un sursaut d’adrénaline. Actuellement, seule Adeline lui apportait encore un peu d’adrénaline quotidienne, de moins en moins cependant. Et il lui faudrait attendre jusqu’à 17 heures pour ce faire. D’ici là, il y avait Alice. Une heure à tenir avant Alice.
Il somnola devant une conférence du Professeur Zeler intitulée « cellules souches et survie au-delà de 175 ans », qu’il jugea soporifique et ne lui apprenant rien de nouveau. Il savait déjà tout sur tant de choses.
Enfin, il fut midi, et il partit à la conquête d’Alice. D’abord farouche, elle succomba vite à son aura, pensa-t-il. Cette lueur dans son œil, c’était bien du désir pour lui, non ? Il n’en douta qu’une fraction de seconde, puis imagina comment il l’emporterait prochainement au pays des merveilles. Facile. Médiocre, à la limite, mais il se persuada qu’elle aimerait cette allusion à la célèbre histoire. Il osa, en payant l’addition, poser légèrement sa main sur celle de sa proie en devenir. Elle ne retira pas la sienne. C’était dans la poche. Demain, il l’emmènerait dans le local de repos qui lui était attribué et elle le découvrirait, son pays des merveilles.
Pour Benoît, le moment qui précédait la première fois était le meilleur. Ensuite, il se lassait immédiatement et repartait en quête de ce moment si fugace. En ce 2 janvier, il était donc heureux, car ce moment se profilait pour demain. Demain, pays des merveilles. Mais aujourd’hui, il était 14 heures, et les consultations de cancéro reprenaient de plus belle. S’enchaînaient, sans originalité, sans rien pour le faire vibrer. Même le bonheur des parents si vite rassurés ne le touchait plus. Il était las.
Après deux heures d’injections et de « gardez-le/gardez-la au chaud deux jours », Benoît monta au septième pour l’annuel drink du nouvel an. Champagne tiède et chips mous. Il détestait se mêler à tous ces membres du personnel qu’il ne regardait même pas en temps normal : cuisiniers, personnel d’entretien, techniciens… Bon, c’est vrai, il avait dragué la petite femme d’ouvrage de son service, le mois dernier, mais c’était exceptionnel, elle avait une paire de nichons à laquelle il n’avait pas résisté. Il ne l’avait d’ailleurs pas regretté, quel moment dans la salle de repos, qui portait ce jour-là si mal son nom.
Au loin, il repéra l’équipe de médecins de son service, dont il s’approcha. Il entraîna Adeline à l’écart. Adeline était une jeune cancérologue encore pleine de fougue, qu’elle lui avait offerte il y a trois ou quatre semaines. Depuis, elle s’accrochait à lui, croyant sans doute au grand amour. Lui était déjà dans sa phase « post première fois », qui ne lui apportait plus guère de satisfaction, mais il fallait bien se garder une poire pour la soif. Adeline était sa poire provisoire. Sa bonne poire.
Il lui tendit une coupe de champagne et l’emmena discrètement vers la sortie de la cafet. Le couloir était désert et il l’embrassa directement, sans préambule, imaginant qu’elle était Alice et qu’il était déjà demain. Ignorant tout de ses pensées, elle réagit avec plaisir à son appel et se laissa entraîner vers la salle de repos, deux étages plus bas. Ils se dévêtirent rapidement et il entra en elle sans autre forme de procès. Il n’allait pas s’encombrer de préliminaires, il voulait juste s’occuper l’esprit en attendant Alice. Il ferma les yeux et juxtaposa son visage sur celui d’Adeline, afin d’augmenter sa motivation dans la besogne.
Après quelques minutes de va et vient qui finirent par l’exciter un tant soi peu, à l’approche de la jouissance, il sentit une douleur fulgurante lui vriller la poitrine, l’empêchant totalement de respirer. Il s’interrompit, mais la douleur persistait, intense, annonciatrice du pire, il le savait.
Il pensa brièvement, très brièvement, à Isa et aux enfants, qui les attendaient déjà chez ses beaux-parents. A la honte d’Isa, quand elle saurait. Quand tout l’hôpital saurait. Mais il pensa surtout longuement à Alice.
Au pays des merveilles qui lui serait interdit.
A demain qui n’arriverait finalement jamais.
Fabuleux atelier d'écriture, comme toujours.
2 janvier 2074
8 – 10 h : consult cancéro
10 h : confér « cellules souches et survie au-delà de 175 ans »
12 – 13 h : Alice
14 – 16 h : consult cancéro
16 h : drink nouvel an + 7
17 h : Adeline
19 h : c/o parents Isa – ne pas oublier champagne
Benoît eut du mal à se lever. Encore grisé par les vapeurs d’alcool de la veille. Chaque année, il se promettait de ne plus succomber aux charmes festifs, chaque année il y succombait. Il était si faible.
A ses côtés, Isa dormait encore. Il prit une douche rapide et, tout en s’essuyant, admira son reflet dans le miroir. Pour ses 52 ans, il se trouvait encore bien conservé. A peine quelques rides d’expressions. Deux trois cheveux blancs sur les tempes. Le Botox faisait toujours des miracles. De même que l’Eternox et le Vivox, qu’il avala avec un fond d’eau, comme chaque matin.
Il rejoignit la chambre pour s’habiller et réveilla Isa d’un baiser distrait. Elle grommela quelque chose d’incompréhensible et se décida à aller réveiller les enfants. C’est tout ce qu’elle avait à faire, s’occuper des enfants. A 43 ans, elle avait la belle vie, se dit-il. Une vie de « femme de », comme il aimait le penser. Femme de Benoît Vassart, Nobel de médecine, excusez du peu.
En s’habillant, il continua à profiter du si beau reflet que le grand miroir ancien de la chambre lui offrait. Sans rien avaler, il gagna ensuite l’hôpital pour une journée somme toute légère, l’année démarrant à la façon d’un diesel.
En pédiatrie, il guetta l’arrivée de la jeune Alice, qu’il tentait de mettre dans son lit depuis deux mois déjà. Il n’avait pas l’habitude d’une telle résistance. En général, un sourire, la blouse blanche, l’alliance dans la poche, et le tour était joué. Mais cette Alice, elle se refusait à lui. Et plus elle résistait, plus il la voulait. C’en était devenu une obsession. Il ne pensait plus qu’à ses longs cheveux noirs, à ses yeux clairs, à son corps si ferme, dont il ne ferait qu’une bouchée. Car elle avait enfin accepté un rendez-vous. Juste un lunch ce midi. Mais c’était un bon début. Par expérience, il savait qu’une fois ferrées, les poulettes étaient prises au piège de son charme ravageur.
Alice arriva et Benoît s’approcha d’un air nonchalant. Il lui demanda discrètement si ça tenait toujours pour ce midi. Elle acquiesça et il sentit en lui gonfler le plaisir de la victoire à venir. Du nouveau trophée qui s’annonçait. Tout à ces pensées, il se dirigea vers son bureau pour les consultations de cancérologie pédiatrique. Depuis sa découverte du traitement unique pour les moins de seize ans, qui l’avait propulsé au firmament des stars de la médecine, et par conséquent dans les draps de dizaines d’infirmières et de futures docteurs, les consultations de cancéro étaient presque une partie de plaisir. Plus de larmes au diagnostic, plus de deuil potentiel. Une injection et voilà, au revoir, gardez-le au chaud deux jours et il sera rétabli. C’en était devenu banal. Il en regrettait presque le temps de l’angoisse de la récidive et des métastases, qui lui apportait un sursaut d’adrénaline. Actuellement, seule Adeline lui apportait encore un peu d’adrénaline quotidienne, de moins en moins cependant. Et il lui faudrait attendre jusqu’à 17 heures pour ce faire. D’ici là, il y avait Alice. Une heure à tenir avant Alice.
Il somnola devant une conférence du Professeur Zeler intitulée « cellules souches et survie au-delà de 175 ans », qu’il jugea soporifique et ne lui apprenant rien de nouveau. Il savait déjà tout sur tant de choses.
Enfin, il fut midi, et il partit à la conquête d’Alice. D’abord farouche, elle succomba vite à son aura, pensa-t-il. Cette lueur dans son œil, c’était bien du désir pour lui, non ? Il n’en douta qu’une fraction de seconde, puis imagina comment il l’emporterait prochainement au pays des merveilles. Facile. Médiocre, à la limite, mais il se persuada qu’elle aimerait cette allusion à la célèbre histoire. Il osa, en payant l’addition, poser légèrement sa main sur celle de sa proie en devenir. Elle ne retira pas la sienne. C’était dans la poche. Demain, il l’emmènerait dans le local de repos qui lui était attribué et elle le découvrirait, son pays des merveilles.
Pour Benoît, le moment qui précédait la première fois était le meilleur. Ensuite, il se lassait immédiatement et repartait en quête de ce moment si fugace. En ce 2 janvier, il était donc heureux, car ce moment se profilait pour demain. Demain, pays des merveilles. Mais aujourd’hui, il était 14 heures, et les consultations de cancéro reprenaient de plus belle. S’enchaînaient, sans originalité, sans rien pour le faire vibrer. Même le bonheur des parents si vite rassurés ne le touchait plus. Il était las.
Après deux heures d’injections et de « gardez-le/gardez-la au chaud deux jours », Benoît monta au septième pour l’annuel drink du nouvel an. Champagne tiède et chips mous. Il détestait se mêler à tous ces membres du personnel qu’il ne regardait même pas en temps normal : cuisiniers, personnel d’entretien, techniciens… Bon, c’est vrai, il avait dragué la petite femme d’ouvrage de son service, le mois dernier, mais c’était exceptionnel, elle avait une paire de nichons à laquelle il n’avait pas résisté. Il ne l’avait d’ailleurs pas regretté, quel moment dans la salle de repos, qui portait ce jour-là si mal son nom.
Au loin, il repéra l’équipe de médecins de son service, dont il s’approcha. Il entraîna Adeline à l’écart. Adeline était une jeune cancérologue encore pleine de fougue, qu’elle lui avait offerte il y a trois ou quatre semaines. Depuis, elle s’accrochait à lui, croyant sans doute au grand amour. Lui était déjà dans sa phase « post première fois », qui ne lui apportait plus guère de satisfaction, mais il fallait bien se garder une poire pour la soif. Adeline était sa poire provisoire. Sa bonne poire.
Il lui tendit une coupe de champagne et l’emmena discrètement vers la sortie de la cafet. Le couloir était désert et il l’embrassa directement, sans préambule, imaginant qu’elle était Alice et qu’il était déjà demain. Ignorant tout de ses pensées, elle réagit avec plaisir à son appel et se laissa entraîner vers la salle de repos, deux étages plus bas. Ils se dévêtirent rapidement et il entra en elle sans autre forme de procès. Il n’allait pas s’encombrer de préliminaires, il voulait juste s’occuper l’esprit en attendant Alice. Il ferma les yeux et juxtaposa son visage sur celui d’Adeline, afin d’augmenter sa motivation dans la besogne.
Après quelques minutes de va et vient qui finirent par l’exciter un tant soi peu, à l’approche de la jouissance, il sentit une douleur fulgurante lui vriller la poitrine, l’empêchant totalement de respirer. Il s’interrompit, mais la douleur persistait, intense, annonciatrice du pire, il le savait.
Il pensa brièvement, très brièvement, à Isa et aux enfants, qui les attendaient déjà chez ses beaux-parents. A la honte d’Isa, quand elle saurait. Quand tout l’hôpital saurait. Mais il pensa surtout longuement à Alice.
Au pays des merveilles qui lui serait interdit.
A demain qui n’arriverait finalement jamais.