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Valère-Marie Marchand, La Clef des rives par Angèle Paoli

Publié le 12 mai 2014 par Angèle Paoli
Valère-Marie Marchand, La Clef des rives,
Mythologies au fil de l’eau,

Éditions La Part Commune, Rennes, 2014.
Illustrations réalisées par l’auteur.


Lecture d’Angèle Paoli

LES NON-DITS QUI PONCTUENT LES RÊVERIES LUSTRALES

Elle s’était inventé une histoire ; une histoire d’eau qui lui donnerait « la clef des rives » et des rêves. Une histoire qui ouvrirait sur la mémoire de l’enfance, « la légèreté des larmes », le « sourire des vignes », le « vacillement des guêpes. » L’histoire s’agencerait comme une marelle ; « une marelle impossible à décrire ». Cependant, la marelle existe. Elle a pour titre La Clef des rives. Valère-Marie Marchand l’a imaginée pour nous, lecteurs. Dessinée au fil des pages pour notre plus vif plaisir.

Sous-titré Mythologies au fil de l’eau, élaboré à partir de récits communs à tous, La Clef des rives est un petit opus hors du commun. Mythologies et réalités scientifiques s’y croisent avec bonheur et élégance, tressent ensemble un singulier ouvrage tout de poésie et de songes.

Inscrit sous le double parrainage de Gaston Bachelard, dans la lignée de L’Eau et les rêves, et de Pascal Quignard — Boutès —, le recueil se répartit en deux temps ; deux temps d’un même flux : « Les rives de l’éveil / Les rives en sommeil. » La traversée se fait en longeant deux rivages à la fois distincts et inséparables. Mais le lecteur peut guider sa flânerie à sa guise, guéant d’une rive l’autre parmi les formes que peut prendre l’eau depuis les origines du monde, eaux placentaires et eaux lustrales, eaux des glaciers des fleuves des rivières eaux des cascades et des torrents ; eaux calmes des étangs et eaux tempétueuses des abysses, où règnent dieux marins, Océanides et sirènes. Eaux des cieux archaïques et déluges des temps ancestraux, royaumes des planctons miniatures et des géantes baleines. Noé et Jonas. Ulysse et Calypso ; Ulysse et Nausicaa ; Ménélas et Protée ; Protée et Arcimboldo ; Narcisse en proie à ses reflets, Diane et ses sortilèges ; Jean Le Baptiste et Salomé ; la Samaritaine et la Sérénissime ; les eaux du Léthé et celles du Gange… Tous, personnages et lieux, proches ou lointains, alimentent les rêves des hommes, irriguent la mémoire de Valère-Marie Marchand, ouvrant « des parenthèses » qu’à la suite de ses créations, « nul ne songe à refermer. »

Au commencement furent « les eaux primordiales ».

« Un peu partout, on se mit à voir différemment, à détailler la surface des vagues, à ramasser les galets en bordure de plage… »

Un jour vint Léonard, « fruit naturel d’une union de passage. » Léonard observe, Léonard écrit.

« Ses premiers textes sont de simples marelles tracées à même le sol. Et ses premières interrogations concernent autant les figures du ciel que l’ombre des taillis. »

Plus tard, « il décrira la complicité entre l’étang et la rivière, le rebond des cailloux en cercles concentriques… » De planche en planche, dessins et écrits organiseront le monde, monde observé et monde rêvé. Léonard « vivra ce que peu osent vivre grâce à des reflets que lui seul devine, grâce à cette encre exhalant une douce odeur de terre. » Ainsi naîtra le très fameux Codex Atlanticus qui rend compte de l’émerveillement toujours renouvelé de Léonard.

De curieux petits dessins, schémas et cartes, réalisations de Valère-Marie Marchand, illustrent chaque chapitre. On y croise un nautile, un nymphéa, une felouque nazaréenne, la trirème d’Odysseus, chapiteaux et arches, médaillons et miroirs, graphiques et schémas — cycle de la vapeur d’eau et vue en coupe du torrent — cartes calquées sur les cartographies imaginaires… Autant d’images qui parlent à nos mémoires d’enfant, suscitent la curiosité en éveil : l’inventeur du Nilomètre et de « la harpe éolienne » hante-t-il toujours le détroit de Gibraltar ? D’aucuns le disent, qui prétendent avoir vu le spectre d’Athanasius Kircher « rejoindre les rivières souterraines qui relient les continents entre eux. » Les eaux du Léthé sont-elles vraiment « porteuses d’oubli », elles qui « s’évaporent au contact de l’air et passent d’une vie à l’autre sans qu’on s’en aperçoive » ? La mer de Téthys a-t-elle vraiment existé ? Qu’importe, si les hommes continuent de rêver « à ses parois abruptes, à ses falaises et à ses îlots cachés par l’abondance des herbes » ?

Il faut lire ce petit livre magique. Qui offre une vision du monde élaborée et ludique. Savourer chaque récit. Jusque dans les chutes qui ouvrent sur une réflexion nouvelle, inattendue. Ainsi de Neptune, à qui nous devons sans doute « notre fascination pour les cartes de géographies et pour les lieux où nous n’irons jamais… » Et qui lègue à ses descendants « plus de parenthèses à vivre que d’invitations à conclure… » Il faut suivre Valère-Marie Marchand dans ses pérégrinations de conteuse et recueillir derrière elle, comme autant de petits palets, les non-dits qui ponctuent ses rêveries lustrales. Le lecteur émerge de leurs rives ébloui et régénéré.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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VALÈRE-MARIE MARCHAND

Valère-Marie Marchand en bleu

Source

■ Valère-Marie Marchand
sur Terres de femmes

Le Grand Bleu (extrait de La Clef des rives)

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site des éditions La Part Commune) une page sur La Clef des rives




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