Ph., G.AdC
[CE PREMIER MONDE ESTOIT UNE FORME SANS FORME]
Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D’abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les elemens se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec le mol, le bas avec le haut,
L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel et le ciel en la terre.
La terre, l’air, le feu se tenoyent logez dans la mer ;
La mer, le feu, la terre estoyent logez dans l’air,
L’air, la mer, et le feu dans la terre : et la terre
Chez l’air, le feu, la mer. Car l’Archer du tonnerre
Grand Mareschal de camp, n’avoit encore donné
Quartier à chacun d’eux. Le ciel n’estoit orné
De grands touffes de feu : les plaines esmaillees
N’entrefendoyent les flots : des oiseaux les souspirs
N’estoient encore portez sur l’aille de Zephirs.
Tout estoit sans beauté, sans reglement, sans flamme,
Tout estoit sans façon, sans mouvement, sans ame :
Le feu n’estoit point feu, la mer n’estoit point mer,
La terre n’estoit terre, et l’air n’estoit point air :
Ou si ja se pouvoit trouver en un tel monde,
Le corps de l’air, du feu, de la terre, et de l’onde :
L’air estoit sans clarté, la flamme sans ardeur,
Sans fermeté la terre, et l’onde sans froideur.
Guillaume de Salluste, Seigneur du Bartas, « Le premier jour », Première Sepmaine, 1578 in Jean-Pascal Dubost, Sur le métier, entretiens avec Florence Trocmé, Éditions Isabelle Sauvage, 2014, pp. 27-28.
GUILLAUME DE SALLUSTE,
SEIGNEUR DU BARTAS
Source
■ Voir aussi ▼
→ (sur www.larousse.fr) un article extrait du Dictionnaire mondial des littératures
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