À propos d’Un bon fils de Pascal Bruckner
C’est un livre formidablement tonique, intéressant et salutaire en ces temps de sinistrose qu’Un bon fils de Pascal Bruckner, où l’écrivain raconte ses relations épiques avec son terrible paternel et, plus largement, évoque l’éducation intellectuelle et sentimentale de toute une génération, entre le scoubidou et les lendemains qui déchantèrent sous Mao…
Première mise au point en sorte de dissiper un malentendu fréquent : que Pascal Bruckner, contrairement à divers « nouveaux philosophes » starisés de sa volée, tels son ami Alain Finkielkraut ou l’omniprésent Bernard-Henri Lévy, n’est pas juif.
Or le plus furieusement empressé à signaler que son fils (quoique médicalement circoncis) n’avait rien de juif était son paternel René, lui aussi circoncis mais antisémite effréné (avec des revirements momentanés) et resté fidèle au Maréchal et à l’Allemagne nazie d’avant la chute.
À l’âge de dix ans, fils à maman aussi fondu en religion que celle-ci, le petit Pascal priait très fort le Dieu de miséricorde afin qu’Il règle son compte à son père, par exemple en envoyant sa voiture dans le décor. Souhait peu charitable mais en somme proportionné aux coups et aux vexations sans nombre infligées par ce père non moins cruel et même sadique envers son épouse trop consentante.
Enfant malingre de naissance, puis atteint de tuberculose, Pascal aura passé une partie de ses jeunes années dans les « sanas » d’Autriche ou de Leysin, dont il parle avec tendresse, avant de rallier le collège lyonnais des Jésuites puis les meilleures écoles parisiennes où il s’épanouit loin de l’étriquement familial. Son père eût aimé le voir entreprendre une carrière de fonctionnaire bien soumis, voire rampant. Mais entretemps, Pascal avait commencé de s’opposer de plus en plus fermement à son père dont il avait découvert le passé peu glorieux de pro-nazi, subissant en outre ses persistantes tirades antijuives, antigaullistes, antiaméricaines, racistes et machistes…
Son récit est aussi bien celui d’une émancipation joyeuse, en phase avec les divers courants de la contre-culture des années 60. « Mon père m’a permis de penser mieuxen pensant contre lui », écrit Pascal Bruckner à la fin de son livre . « Je suis sa défaite : c’est le plus beau cadeau qu’il m’ait fait ».
Cela étant, ce récit d’une haine avérée ne se borne pas à celle-ci, tant son père est divers et parfois attachant, alors que l’écrivain lui-même ne se ménage pas non plus, se découvrant parfois de troublantes ressemblances caractérielles avec son géniteur.
C’est d’ailleurs à ce trait d’honnêteté, sur fond d’increvable optimisme, qu’Un bon fils doit son intérêt et son charme. Pascal Bruckner ne dore pas la pilule. Comme il en va souvent des enfants trop tôt déçus, on ne la lui fait pas. Il paraîtra même un peu monstrueux à son tour quand, devant son propre fils, il proposera à son père de se supprimer. Mais il est vrai que la vieille carne l’aura cherché…
Cependant rien n’est d’une pièce chez nos « frères humains », et René Bruckner, tout odieux qu’il soit souvent, n’en est pas moins un type intéressant voire attachant, et c’est avec abnégation qu’il prendra soin de sa femme en toute fin de vie après l’avoir humiliée pendant cinquante ans.
L’évocation des errances idéologico-politiques du père de Pascal Bruckner, antisémite d’époque comme il y en eut des kyrielles en France, est particulièrement intéressante en cela que les hantises du bonhomme recoupent celles de toute une France actuelle.
« Ils vont nous faire chier longtemps avec leur génocide ? », lance-t-il par exemple à son fils « enjuivé ».
Et celui de commenter : « Le Moloch nazi continuait à le subjuguer. La France contemporaine n’est pas sortie de la logique de la Seconde Guerre mondiale, qui demeure sn baromètre absolu ». Et cela encore : Face à sa grande voisine de l’Est, la France souffre du complexe du vaincu ». Et cela enfin : « Notre nation n’est pas malade de l’islam ou de l’immigration, lesquels ne sont que les révélateurs de sa faiblesse, elle porte et pour longtemps la stigmate de la débâcle et du vychisme »…
Pascal Bruckner. Un bon fils. Grasset, 250p.