(une série mode dans the Guardian comme on aimerait bien en voir plus souvent par chez nous ma brave dame)
Au téléphone elle m'a dit "je crois qu'on a besoin de voir quelqu'un, je voudrais prendre rv avec vous !"
C'est tout.
Et ce soir ils sont là, devant moi. Lui très jeune, la capuche de son sweat mange son (beau)visage, elle, très très jeune, minuscule poupée brune en slim noir et tee shirt blanc.
Il fait la gueule, il boude, il s'installe sur le canapé, le plus loin possible d'elle, tête à claque rebelle.
Mais il est là, et comme le chantait Souchon "c'est déjà ça !"
Ils vivent ensemble depuis 2 ans, il a 23 ans elle en a ...16.
- on vient vous voir parce qu'il est violent avec moi, je l'aime mais il est violent et j'en ai marre. Il faut que vous lui expliquiez ça Madame !
Et elle me raconte, un peu, avec une toute petite voix. Les disputes incessantes, les petites et grosses humiliations, les soirées passées à l'attendre, les interdictions de s'habiller comme çi ou comme ça, la gueule du soir, la gueule du matin.
Nous parlons respect, de l'autre, d'elle-même, respect de sa propre vie, de son idéal de vie.
Nous parlons espoir mais aussi inertie à continuer à accepter ce qu'on a accepté. Enfin pas vraiment inertie puisqu'elle est là.
Lui ne dit rien, mais il est là.
Elle continue à parler, à tenter de comprendre, de le comprendre. De justifier. Elle lui (re)dit son amour. Son désir que les choses changent, son impuissance. Son admiration pour lui.
Il garde ses poings serrés dans les poches, il ne la regarde pas, mais il ouvre enfin la bouche :
- Elle me manque de respect Madame, elle me manque de respect, elle ment tout le temps, elle dit qu'elle arrive dans 5 mn et elle arrive pas et moi je l'attends. Elle dit qu'elle va voir des copines mais c'est pas vrai, elle traine avec des mecs je suis sûr, elle me ment tout le temps, vous avez vu comment elle est habillée ?
Elle me manque de respect Madame, j'aime pas qu'on me manque de respect, c'est pour ça que parfois "je gueule" sinon moi aussi je l'aime Madame. Mais je sais que je devrais pas. Lui taper dessus, pas l'aimer bien sûr (il sourit).
Mais il est là je me répète.
Je rappelle la loi, le fait qu'elle est mineure, la responsabilité qu'il a vis à vis d'elle, la gravité des faits, je suis ferme, le plus possible. Je le regarde droit dans les yeux. Je pose les limites. J'espère. Je me dis encore et encore qu'il est là et que c'est l'essentiel.
- Vous n'avez pas le droit de lever la main sur elle Joey, vous n'avez pas le droit. Personne n'a le droit de taper sur quelqu'un d'autre, personne !!!!
Vous avez le droit de la quitter si vous n'êtes plus heureux avec elle, vous n'avez pas le droit de la taper ! Tu m'entends ? Vous m'entendez ?
- oui je sais, mais la colère monte, monte, monte et je peux pas m'empêcher, c'est plus fort que moi Madame mais je sais...c'est comme une cocotte-minute dans ma tête.
Mais il est là.
On est resté presque deux heures ensemble, non l'amour n'est pas la souffrance, non l'autre n'est pas là pour panser les plaies du passé, il peut être la cerise sur le gateau, le soutien précieux, pas le souffre-douleur. Je ne prétends pas en savoir davantage qu'eux sur ce qu'est l'amour mais je crois savoir que ce qu'ils me racontent n'en est pas. Je le leur dis.
On parle encore et encore, ils sont là devant moi et si je pouvais, je les serrerais bien dans mes bras.
Je leur offre un bracelet brésilien à chacun, ils choisissent la couleur, un blanc pour elle, un bleu pour lui. Un pacte entre nous. Entre eux. Je les sens émus.
A la fin de la séance, Joey me serre la main, me regarde enfin droit dans les yeux et enlève sa capuche (miracle).
- on peut revenir ? ça m'a fait du bien de parler, ça nous a fait du bien de parler, d'expliquer, hein Jessica ?
- moui (toute petite voix cette poulette, quel courage, quelle maturité il lui a fallu pour franchir le pas, venir me voir, aller voir "quelqu'un")
- mais on voulait vous dire Madame, on a un problème, on a oublié l'argent.
On peut vite aller le chercher au distributeur si vous voulez ?
- non, non, je vous fais confiance, vous me payerez la prochaine fois. Pas de problème
- vous êtes cool Madame, on revient quand ?
Ils sont revenus 15 jours plus tard, pile à l'heure devant ma porte. Sans capuche sur la tête.
On a décidé de débuter (un peu ils ont dit, pas trop c'est trop de souffrance Madame) (juste un peu alors, juste pour que je puisse vous situer dans l'espace) par leur enfance respective.
Comme les phrases ont du mal à sortir, je leur propose de me donner des mots, des mots qui raconte leur enfance. Tout les mots qu'ils veulent, dans l'ordre qu'ils veulent.
C'est lui qui commence :
injustice - trahison - tristesse - peur - parfois c'était bien - maman - les copains - amitié - trahison - les coups - violence - mais je veux plus y penser Madame, ça me rend triste.
Elle prend le relais :
incompréhension - dispute - divorce - tristesse - un peu la joie quand même mais pas souvent - amitié - peur - peur ....
elle pleure, à gros sanglots, toutes les larmes de son corps, le visage dans les mains.
Je m'approche d'elle, je l'encourage à pleurer, encore et encore, à vider ce trop plein de souffrance. C'est le moment, c'est maintenant, pleure ma belle, pleure cette enfance qui n'en a pas vraiment été une. Je lui dit ma bienveillance, notre bienveillance (n'est-ce pas Joey ?) et je regarde Joey...
Joey, sur son bout de canapé, qui pleure en silence.
Des grosses larmes sur son beau visage de rebelle.
Joey a 8 ans.
Il se tortille les mains, il pleure cette enfance qui n'en a pas vraiment été une.
Tu sais quoi ?
Je kiffe grave mon métier
P'tain comme je kiffe mon métier !
Et sinon pour ne pas pleurer avec eux, il a fallu que je pense très très fort à François Hollande. Cherche pas, je suis psy, je suis pas tout à fait normale.
Penser à François Hollande me mets en colère, je n'ai pas pleuré.
Ouf !!
T'imagine ?
La psy en larmes sur son fauteuil qui tourne tout seul ?
Je les revoie demain soir, on continue notre bout de chemin ensemble, je ne sais pas où cela va nous mener mais on avance et "c'est déjà ça !"
- p'tain Madame, comme ça fait du bien de pleurer, p'tain Madame ça fait du bien de pleurer, c'est la première fois que je pleure comme ça, que je raconte mon histoire à quelqu'un, même Jessica elle savait rien, hein Jess? je crois que je commence à comprendre pourquoi je tape, elle n'y est pour rien Jessica, je tape pas sur elle, je tape sur mon père, sur mon enfance pourrie, elle y est pour rien Jessica, elle m'aime, moi aussi je l'aime Madame. Je crois que je commence à comprendre....elle y est pour rien Jess, elle y est pour rien !
On peut revenir quand ?
Je pleure pour de bon en écrivant ces mots, zut François Hollande merde tu fais quoi ?
Je vous embrasse fort mes amis !
Tout à l'heure je fais me faire chouchouter la tronche par les makeup artists du site Make My Beauty
Je vous raconterai promis !