Magazine Humeur

1944/2014 - commemorer autrement ?

Publié le 21 juin 2014 par Dominique Le Houézec

1944/2014 - COMMEMORER AUTREMENT ?

Cimetière allemand de la Cambe (14)
où sont inhumés 21222 soldats

Le 6 juin dernier, une vingtaine de chefs-d'état et/ou de gouvernement, ainsi qu'une douzaine de têtes couronnées ont retenu leur lunch-box [1] au château de Bénouville dans le Calvados. Quoi de plus normal me direz-vous ? C'est leur travail, la représentation en mondiovision avec dépôts de gerbes ostentatoires et accolades mouillées aux vétérans. Peut-être ont-ils causé entre la poire et le fromage [2] de contrats juteux dans l'aéronautique, le militaire ou le nucléaire ? Les savoir eux, leurs snipers et leurs apparatchiks dans ces lieux chers à ma mémoire m'a donné quand même un peu d'urticaire. Non que j'apprécie plus que cela la bâtisse néoclassique dessinée par Nicolas Ledoux [3]. Je souhaite simplement que quelques unes des soixante dix dernières années de l'utilisation de ce château ne passent pas dans les oubliettes de l'Histoire.   


                                                   

1944/2014 - COMMEMORER AUTREMENT ?

Baptême de bébés nés à la maternité
de Bénouville  (27 juillet 1944)

Dans les années 1970/80, alors jeune interne en pédiatrie, je me rappelle y examinant les nourrissons... La maternité, inaugurée en 1927, avait déjà cessé de fonctionner. La postérité, toujours anecdotique, y retiendra la naissance en 1945 du chanteur Gérard Lenormand. Au sein du château, la "Maison Maternelle" accueillait toujours de futures mères en difficulté pour lesquelles je m'essayais à des topos de puériculture. A cette époque co-existaient également un Foyer de l'enfance qui hébergeait des enfants placés ou confiés à la DASS et, excusez du peu, un IME pour enfants cérébro-lésés lourdement atteints (On disait à l'époque "encéphalopathes"). Les uns et les autres « parachutés » dans des préfabriqués hâtivement montés dans le parc. Un curieux mélange des genres, certes formateur pour un jeune soignant mais hélas peu cohérent pour éducateurs et leur « patientèle »...
Je me rappelle que l'herbe souvent haute mouillait mes chaussures quand, lors d'une pause, j'allais voir passer un grumier ou un vraquier remontant le canal jusqu'à Blainville. Dans ce beau lieu encore méconnu par nos édiles, il y avait de belles personnes dont je prétends saluer la mémoire en modifiant un peu leur nom pour qu'elles se reconnaissent aisément tout en sauvegardant leur modestie naturelle. Isabelle Patissier, puéricultrice, régnait démocratiquement sur les nourrissons des "Tilleuls" et sa collègue Francesca Bouvier était la responsable des « grands », logés aux  "Marronniers". Je songe aussi à Noëlle Le Gall et à d'autres monitrices ou auxiliaires de puériculture.... J'entends encore la voix de stentor de Lucy Verly résonnant dans le grand escalier du Château ! Je me rappelle aussi le sourire un peu triste de certaines mères accueillies à la Maison Maternelle et en particulier celui de Fanny Ravault qui m'a plus tard fait l'honneur de me confier le suivi de ses enfants.


1944/2014 - COMMEMORER AUTREMENT ?

Chateau de Bénouville (14) construit en
1780 par Nicolas Ledoux

L'administration nous opposait - déjà - le manque de crédits aux demandes de rénovation que l'hygiène élémentaire réclamait effectivement. Pourtant dans les années 1980,  des fonds furent miraculeusement débloqués pour réhabiliter de façon somptueuse le bâtiment, redorer les lambris, refondre le jardin pour y loger... la Cour des Comptes, qui y siégea de 1982 à 2013 avant de laisser sa place aujourd'hui à l'Institut Européen des Jardins et des Paysages. Autrefois, les moines s'installaient toujours dans de beaux endroits. Maintenant les politiques et leurs administrations trouvent toujours des fonds publics pour loger bellement leurs clercs et leurs dignitaires ! A Caen, le Conseil Régional a occupé les locaux conventuels de l'Abbaye aux Dames magnifiquement restaurés après un long temps d'occupation par les peu solvables pensionnaires de l'hospice St Louis, historiquement précédés par les aussi peu solvables enfants trouvés. 


Heureuses années 1970 ! Le bonheur paraissait alors à portée de main y compris pour les obscurs, les sans grades, les sans-papiers... Depuis il y a eu l'OMC, les armes chimiques et nucléaires en abondance, Sangate et Lampedusa, la lente sortie du bois du Front national [4] comme si le souvenir d'Hiroshima et d'Auschwitz s'était évanoui de nos mémoires.
Peu m'importe si Elizabeth II a fait ou pas le voyage à Bayeux pour remettre sa cloche à  l’évêque, si Poutine s'est vu servir ou pas la salade de tomates "Noires de Crimée" qu'il affectionne particulièrement, si Obama, prix Nobel de la Paix, était accompagné par ses gentils drôles ou par ses moins sympathiques drones. 
Bénouville 2014, une autre commémoration était-elle possible ? Sans ballets d'hélicoptères ni militaires déguisés en ballerines, sans courbettes ni hypocrisie. Personnellement, je pense que oui : les rencontres organisées entre anciens résistants et écoliers, collégiens ou lycéens sont souvent le fruit d'initiatives personnelles et locales. Elle me paraissent à encourager autant que le temps le permettra et le relais sera pris ensuite par la vidéo dont les historiens pourront éventuellement se servir. 
Je préfère quant à moi la visite solitaire en automne du cimetière américain de St Laurent ou, plus impressionnant encore, celui des tombes allemandes de la Cambe. La lecture des ouvrages historiques sur cette période m'accompagne depuis que j'ai dix ans...  

Alain QUESNEY

[1] Voir plutôt  « The lunch box », le délicieux film indien de Ritesh Batra (2013).[2] Le secret du menu concocté par cinq chefs normands médaillés est resté bien gardé. Peu m'en chaut ![3] Du même Nicolas Ledoux, voir aussi l'église de Cruzy le Châtel dans l'Yonne
[4] Même le nom  « Front National »  est une arnaque puisqu'il désignait durant l'occupation un  important mouvement de Résistance. 

Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine