A la fin des années soixante, le metteur en scène Italien Sergio Léone ne souhaite plus réaliser de western. Avec sa trilogie du dollar (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Le Bon la Brute et le Truand), il a posé les jalons de ce que l’on appellera le western spaghetti. Alors qu’Hollywood ne semblait plus s’intéresser au western, c’est l’Italie qui a renouvelé le genre grâce à une approche plus baroque mais aussi plus sauvage. Léone, en grand fan du cinéma de John Ford, y a vu une manière de bousculer une certaine vision conservatrice de l’Ouest Américain tout en jonglant avec ses grandes figures mythologiques. Toutefois, conscient d’avoir achevé un cycle avec le Bon la Brute et le truand, Leone souhaite passer à autre chose. De plus, il ne semble plus vouloir être associé à la pléthore de Western Italien qu’il a, d’une certaine manière, lui-même engendré. Un filon qui donna quelques grands films mais aussi pas mal de navets. Or le genre semble lui coller à la peau et un producteur arrive à le convaincre de tourner un ultime western en échange d'une liberté d’action totale. Ce sera Il était une fois dans l’Ouest.
Pour écrire son scénario, Sergio veut du sang neuf. Il fait donc appel à un jeune cinéaste plein de promesses, Bernardo Bertolucci, et a un jeune critique de cinéma nommé Dario Argento (leurs futures carrières prouveront le flaire de Léone). Ensemble, ils posent les bases d’un scénario brassant les archétypes du genre (le pistolero, la putain, l’entrepreneur corrompus) en les situant à une époque ou l’Amérique bascule dans l’ère industrielle (le chemin de fer comme métaphore suprême). Ce premier jet est ensuite retravaillé par Sergio Donati, son fidèle scénariste, qui ajoute au récit des dialogues d’anthologies dont il a le secret.
Avec Il était une fois dans l’Ouest, Léone souhaite littéralement enterrer le genre. En décrivant le passage d’une époque à une autre, il montre des personnages voués à disparaitre. Cette longue marche funèbre va donc permettre à Léone de dilater au maximum le temps. S’inspirant plus que jamais du cinéma Japonais qu’il adore (Kurosawa en tête), il impose aux spectateurs une lenteur qui pousse le film jusqu'à la limite de l’abstraction. A ce titre, la séquence d’introduction fait figure de manifeste. Trois tueurs attendent la venue d’un train qui met trois plombes à arriver. Tranquillement et de manière presque insupportable (rythmé par les pales d’un moulin, des gouttes d’eau sur un chapeau, une mouche), Léone pose les enjeux du film. Pour ces cowboys, au sens propre comme au sens figuré, la fin est proche. Le chemin de fer signe le début d’une nouvelle ère et la fin du mythe de l’Ouest.
L’autre idée géniale de Léone sur ce film réside dans le choix du casting. En effet Charles Bronson avec sa « gueule » burinée et sans âge se révèle parfait pour figurer tout le mystère qui entoure le personnage de l’homme à l'harmonica. Mais c’est en choisissant Henry Fonda que Léone frappe fort. En effet, cet acteur familier des films de John Ford et de Capra, a tout au long de sa carrière, interprété des rôles positifs, il a fini par représenter aux yeux du public une certaine idée du héros américain. De fait, lui faire jouer un personnage aussi ignoble que celui de Frank relève de la pure profanation. Fonda s’y révèle incroyable, son regard bleu pénétrant trahit même une part d’humanité, ce qui le rend encore plus terrifiant. Il faut le voir, face caméra, esquisser un sourire pervers avant d’abattre de sang froid un enfant. De plus si l’on pouvait noter dans ses précédents films l’absence de personnages féminins forts, Léone va, cette fois, se rattraper. Dans le rôle d’une prostituée fière mais abimée par la vie, Claudia Cardinale est incroyable. Son personnage est bien loin d’être un simple faire valoir pour ses partenaires masculins.
Un petit mot enfin sur la musique qui est devenue presque aussi célèbre que le film. Elle est une nouvelle fois composée par Ennio Morricone. Ce dernier élabore une musique élégiaque qui ajoute encore plus de grandiloquence à la mise de scène de Sergio Léone. D’un côté, des thèmes d’une mélancolie déchirante (symbolisant la nostalgie d’un monde passé) de l’autre de véritables décharges de violence à la guitare électrique. Et puis il y a ce thème à l’harmonica totalement inoubliable. Ce souffle à peine humain, Léone l’a obtenu en serrant la gorge de l’harmoniciste jusqu'à l’étouffement. Cet air est indissociable du film et reste un des plus célèbres de l’histoire du cinéma.
Pour les spectateurs de l’époque, il semble impensable que Léone puisse faire plus grand qu’Il était une fois dans l’Ouest (il n’était déjà pas facile de faire aussi bien que Le Bon la Brute et le Truand) Il y parviendra pourtant, en réalisant dans les années quatre vingt son chef d'œuvre ultime : Il était une fois en Amérique. Mais ça déjà, c’est une toute autre histoire.
PS: merci à Marion pour les corrections.