Ces inconnus qui nous manquent

On ne les connait pas ces gens, on les croise dans notre vie de tous les jours, chez un commerçant ou dans la rue, ce sont des visages familiers mais sans plus et surtout sans nom. Des inconnus que l’on connait de vue en somme.

Et puis un jour on ne les voit plus justement, ou du moins, un jour on réalise qu’on ne les voit plus depuis un bon bout de temps et l’on s’étonne. Pour certains qui n’apparaissent plus dans le champ de notre radar, la surprise est moindre. Par exemple, la petite dame âgée, toute mince dans son manteau couleur fauve et trottant de plus en plus difficilement vers le centre commercial chaque jour, on peut se douter qu’elle ne trotte plus nulle part.

Quant à cette autre, jeune femme énergique repérée chez Carrefour, les courbes agréables à l’œil qu’elle prenait soin de mettre en valeur en s’attachant à attraper des articles toujours trop haut placés pour elle dans les rayonnages. Moi qui ai horreur de faire mes courses dans ces magasins, j’y trouvais ma modeste récompense hebdomadaire quand la chance favorisait mes déambulations dans les allées. Envolée, disparue elle aussi, elle fait le bonheur d’autres dans d’autres magasins.

Il y a aussi ceux qui disparaissent, on imagine à jamais, et puis ils réapparaissent et on les trouve bien changés, vieillis, affaiblis. Rescapés temporaires d’une grave maladie ? Ceux-là, sans aller jusqu’à parier sur leur disparition prochaine, on ne s’étonnera pas le jour où on le les reverra plus. L’embellie, comme un avertissement, nous aura prévenus. 

Les rues, les magasins, les bus, sont pleins d’inconnus qu’on ne voit pas, croit-on, mais leur présence récurrente imprime leur silhouette dans notre subconscient, et quand l’un d’eux vient à manquer, c’est le décor général qui change et nous trouble. Un seul être nous manque…