Magazine Journal intime

Ne pas avoir d’enfant

Publié le 04 juillet 2014 par Anniedanielle

J’ai hésité longtemps avant d’écrire cet article.
Quelques personnes ont essayé de me convaincre de ne pas l’écrire. Trouvaient que c’était un sujet trop personnel. Tabou.

Ce qui m’a convaincu de l’écrire, finalement, c’est d’avoir cherché ce type d’information/témoignage et de n’en avoir à peu près pas trouvé. Si je peux aider des femmes comme moi, ça vaut le “sacrifice” d’un peu d’intimité.

J’ai attendu, cependant. Attendu d’en avoir parlé avec ma famille et mes amis les plus proches.

J’écrirais bien, en introduction : “OK, fini le mystère”, mais le titre a déjà pas mal dévoilé le sujet de cet article!

;)

Je vais commencer par la fin de l’histoire :
Le 30 juillet prochain, soit dans environ trois semaines, je vais me faire opérer par laparoscopie pour une ligature des trompes afin d’être certaine (à quelque chose comme 99%) de ne pas avoir d’enfant.

Pourquoi???

J’ai plusieurs raisons, en fait. C’est la combinaison de toutes ces raisons qui m’ont amené à cette décision. Même si je crois que presque toutes, prises séparément, sont suffisantes par elles-mêmes.

Je ne vous explique pas ma décision pour me justifier, mais bien pour ces femmes atteintes de maladies génétiques, comme moi, qui se demandent s’il y en a qui l’ont fait, et ce qui a motivé leur décision.
1. J’ai 50% de risque de transmettre le syndrome d’Ehlers-Danlos à mon enfant. Il y a des gens qui souhaitent tellement avoir un enfant qui diraient “tant pis” même si c’était 80%. Des gens qui mettraient leurs lunettes roses et verraient le 20% de chance que ça n’arrive pas. Ou se diraient qu’il y a une chance que, peut-être, l’enfant soit moins atteint qu’eux.
Je trouve ça égoïste.
Je vois 50%, je vois une “chance” sur deux. Ce serait 20% et ce serait déjà trop. Je vois aussi le risque que l’enfant soit encore plus sévèrement atteint que moi.
Qui suis-je pour risquer la vie d’un autre être humain?

Si je tenais absolument à être mère (et que je n’avais pas les autres raisons, ci-dessous), je pourrais utiliser les ovules d’une autre, je pourrais adopter. Mais pas ça. Pas faire endurer ça.

Je connais deux femmes extraordinaires qui sont atteintes de maladies génétiques, aux symptômes semblables aux miens d’ailleurs, et qui ont des enfants. Leurs enfants ont hérité de leur maladie, et les deux trouvent ça infiniment plus difficile à vivre que d’être malade elles-mêmes.
2. Il y a un risque, pour ma santé autant que celle du foetus, en cas de grossesse, à cause du syndrome d’Ehlers-Danlos. Ce n’est pas certain, évidemment. Peut-être aurais-je une grossesse parfaite. Les médecins (même spécialistes du SED) ne s’entendent pas sur le sujet. Plusieurs personnes atteintes du SED ont eu des enfants sans problème. J’ai même entendu parler de cas où les symptômes se sont améliorés!

À ce sujet, cependant, je dois mettre un bémol. En général, les symptômes qui s’améliorent pendant la grossesse sont ceux liés aux douleurs articulaires, comme l’arthrose. Par contre, souvent, les problèmes d’hypermobilité, de dislocation, tendent à empirer, tout comme les troubles d’hypotension et de tachycardie d’ailleurs.

On n’a pas de certitude sur le type de syndrome d’Ehlers-Danlos dont je souffre… probablement que c’est le type hypermobile ou une variante… mais j’ai quand même des risques au niveau cardio-vasculaire, de rupture d’organe,  des risques de dislocations des hanches au moment de la naissance, et j’en passe.

Certains médecins me diraient qu’il n’y a aucun risque. D’autres que c’est un risque qu’il faut définitivement prendre en considération.
3. Presque tous les médicaments que je prends présentent un risque de malformation/anomalies pour le foetus.
Il existe des médicaments qu’on peut cesser le temps d’une grossesse, des douleurs qu’on peut endurer, par exemple. Mais je ne peux pas, logiquement, cesser de prendre un médicament comme le Florinef le temps d’une grossesse… je l’ai dit, une grossesse ferait baisser ma pression sanguine, alors que le Florinef aide justement à maintenir cette pression sanguine. Sans Florinef, je suis à toutes fins pratiques alitée! Je me condamnerais à 9 mois (et combien de temps avant?) de faiblesses et de risques d’évanouissement (pas bon pour un foetus!).
Je devrais aussi cesser le bêta-bloquant, alors que la tachycardie serait possiblement encore pire.
Et puis, imaginez la scène… devoir cesser le Topamax qui réduit la fréquence et la sévérité de mes migraines… et ne pas pouvoir prendre de médicament pour combattre les migraines.
Et on ne parle que des médicaments dont je connais les problèmes…
4. Oublions pour un instant la grossesse, la naissance… mettons que j’ai eu l’enfant. Je fais comment pour m’en occuper? Vous n’avez pas oublié ces journées alitée? Ces fois où j’ai besoin d’aide pour me déplacer dans la maison? Ces semaines avec un bras inutilisable? Ce risque de me retrouver en chaise roulante, en cas de blessure majeure à une jambe? Tous ces repas que je ne peux pas préparer? Ce ménage que je ne peux pas faire seule?
Et je pourrais m’occuper d’un petit être humain?
Il me fait plaisir de garder mes “neveux ou nièces de coeur” (les enfants de mes meilleurs amis ou de mes cousins)… je les adore! J’aime les enfants. Mais quand je fais cela, pour quelques heures, ça prend de la préparation, et les activités sont limitées… et après ces quelques heures je suis épuisée. Souvent aussi, ils me font cadeau de leurs infections.
Quand je visite, “matante” est plutôt ennuyante pour ces enfants, car elle ne fait jamais rien d’amusant. Elle reste assise, ne joue pas à la balle, ne s’assoit pas par terre, ne les prend pas sur ses épaules…
Je ne peux pas me mettre à genoux, me pencher et me relever quinze fois l’heure, et tant d’autres choses encore.

Même en ayant le conjoint le plus disponible, le plus merveilleux de la terre. Même en ayant, en prime, de l’aide à domicile en tout temps… ça donnerait quoi? Je m’imagine alitée ou le bras disloqué, devoir être spectatrice de la vie de ma propre famille, des soins de mon enfant. Ce n’est pas sain. Je serais malheureuse comme les pierres, me sentirais exclue et coupable, et cet enfant ne serait pas heureux non plus.
5. Alors… on oublie l’idée d’avoir un enfant. Pas besoin de se faire opérer pour ça, n’est-ce pas? C’est à ça que servent les contraceptifs! En effet.
J’ai longtemps pris le Depo-Provera, un contraceptif en injection. Puis nous avons réalisé que je prenais du poids, et du poids, et encore du poids, alors que je mangeais moins! (environ 30 lbs en moins d’un an). Vu que je ne peux pas faire de sport pour contrer l’effet, on devait éliminer ça.
Au fil des années, j’ai aussi essayé quelques pilules contraceptives. J’ai rarement eu autant d’effets secondaires. Humeur dépressive avec une, augmentation de mes symptômes SED deux semaines chaque mois avec une autre, etc.
Mais j’ai appris récemment (c’est vraiment GÉNIAL qu’on ne m’aie appris ça que récemment…) que le médicament que je prends pour diminuer la fréquence de mes migraines (Topamax) diminuait l’efficacité de presque tous les contraceptifs hormonaux. Aussi bien ne pas les prendre…
Enfin, évidemment, on peut combiner : pilule + condom. Mais on n’arrive encore pas à 100%. Une méthode efficace à 85% plus une méthode efficace à 90% ne fait pas un 100%. Et comme nulle part on ne peut donner de chiffre sur le taux d’inefficacité créé par l’interaction médicamenteuse… ça pourrait aussi bien être du 50% que du 98%…

J’ai fait des recherches… et j’ai compris que j’avais finalement trois choix :
- contraceptifs hormonaux, avec interaction médicamenteuse donc efficacité réduite de on-sait-pas-combien, combiné au condom… pour toujours, même après 10 ans avec le même gars… et le risque de tomber enceinte. Et alors devoir me faire avorter. Une solution qui n’est pas intéressante. Je ne suis pas contre l’avortement, mais je ne le souhaite à personne, et je ne souhaite pas avoir à prendre cette décision, même en sachant ne pas vraiment avoir le choix. Je ne souhaite pas devoir vivre ces émotions. Et rien que prendre la fameuse “pilule du lendemain” est quelque chose qui serait plutôt difficile pour mon corps.

- dispositif intra-utérin a.k.a. stérilet (sans hormones). Mais si je vous dit qu’un stérilet comporte des risques d’infection ou de complications, plus précisément de perforation de l’utérus… et que je vous rappelle que le syndrome d’Ehlers-Danlos est principalement une maladie qui affecte les tissus mous… qu’un des risques principaux dans la grossesse, dont je parlais plus haut, est celui de rupture de la paroi de l’utérus… eh bien voilà. On oublie le DIU aussi.

- on ouvre donc la porte no. 3 pour y trouver la ligature des trompes. La stérilisation permanente.
C’est une toute petite opération. Une chirurgie d’un jour. Un petit trou par le nombril, une autre en haut du pelvis, mon médecin va installer des espèces de pinces, et voilà. En quelques heures ce sera terminé, en une semaine environ je sera sur pied… et voilà. On ne jouera plus avec mes hormones, je n’aurai plus ce risque de tomber enceinte. Paraît qu’en plus, j’aurai moins de risque de cancer de l’utérus!

J’ai déjà 35 ans. Et je suis encore célibataire. On s’entend que même si je rencontrais l’homme de ma vie demain, ce ne serait pas tout de suite qu’on déciderait d’avoir des enfants! La fenêtre pour une grossesse sécuritaire (pour une femme en santé!) se referme déjà… il est absolument impossible qu’un miracle de la médecine se produise d’ici-là et me rende la santé… par contre, la nécessité d’utiliser la contraception, elle, continue pour un bon bout de temps! Je comprendrais qu’on trouve ma décision hâtive si j’avais 22 ans, mais ce n’est pas le cas… malheureusement.

;)

En fouillant sur les forums de personnes atteintes du SED, j’ai appris que beaucoup de femmes d’environ 30 ans avaient subi cette chirurgie (sans problème, contrairement à la pose d’un stérilet!). Pour exactement les mêmes raisons que moi.
En m’informant sur la chirurgie, j’ai aussi appris que, à ma grande surprise, ne pas vouloir transmettre une maladie génétique était parmi les raisons principales de le faire.

La gynéco qui va m’opérer a pris le syndrome d’Ehlers-Danlos bien au sérieux, elle m’a même envoyé voir une interniste de l’hôpital (et fait passer une écho cardiaque!) pour confirmer qu’il n’y avait pas de risque, vu mon hypotension… Elle sait qu’elle doit faire bien attention en refermant mes plaies pour que ça tienne et que ça cicatrise bien (mais par précaution, l’interniste lui a ajouté une note au dossier), et elle a aussi mis une note pour que l’anesthésiste s’assure de bien m’hydrater durant la chirurgie afin que je ne me réveille pas affaiblie.

J’ai beaucoup réfléchi à la question, j’en ai discuté avec mes parents, avec mes amis les plus proches, et finalement je suis passée voir mon médecin de famille pour obtenir la référence en gynéco. Elle m’a alors posé la question suivante : “Que se passera-t-il si jamais tu rencontres quelqu’un, et qu’après un bout de temps il veut avoir un enfant?”.
Ce qu’elle ne savait pas, c’est que c’est arrivé.
Et c’est un peu ce qui a déclenché le questionnement (ça et les problèmes avec mes contraceptifs).
Un gars m’a laissé parce que je ne pouvais pas avoir d’enfant.
J’ai donc déjà vécu ce qui semble la pire situation.

On m’a beaucoup demandé si j’avais peur de regretter.
…je ne le sais pas, si je voudrais des enfants.
À l’âge de 20 ans, je n’en voulais pas “tout de suite” et je ne pensais pas en vouloir plus tard, non plus. Mais j’étais célibataire, pleine de projets. Je me disais “peut-être à 30-35 ans, si je suis dans une relation stable, on verra”. Je me disais que la fameuse horloge biologique me rattraperait peut-être alors.
Puis je suis tombée malade. J’ai longtemps été simplement en mode survie.

Maintenant je sais que je ne peux pas.
Je ne me pose donc même pas la question.
Mais je ne peux pas dire que j’ai ressenti ça comme un deuil. Pas besoin d’avoir pitié.

Ça m’a beaucoup fâché, que ce gars me laisse à cause d’une décision qui n’était pas la mienne, mais plutôt un fait imposé par ma santé. Si ça avait été ma décision “non je ne souhaite pas avoir d’enfants”, je l’aurais mieux accepté.
Mais ai-je de la difficulté à vivre avec le fait que je ne peux, ne pourrai pas avoir d’enfants? Pas du tout.

Ai-je peur de regretter, pour finalement répondre à la question?
Oui et non.
Oui, j’ai peur de regretter de ne pas pouvoir avoir d’enfants. J’ai peur de me retrouver avec l’homme de ma vie, à 40 ans, et réaliser que je veux des enfants avec lui. M’apercevoir que ça ne me dérangeait pas de ne pas en avoir, simplement parce qu’il n’était pas dans ma vie, ou que je n’étais pas “rendue là”.
Non je n’ai pas peur de regretter, parce que si je vis ce deuil plus tard, ce ne sera pas en raison de la chirurgie, que je ne pourrai pas avoir d’enfants. Parce que même si je ne me fais pas opérer, ce 30 juillet prochain, la situation serait la même dans 5 ans.

——————————————-

***Petite note pour les abonnés à la liste d’envoi :
Avec la nouvelle loi canadienne anti-pourriel, je tiens simplement à vous rappeler que vous recevez ceci parce que vous vous êtes abonnés à la liste d’envoi du blogue, et que vous pouvez vous désabonner n’importe quand (ou changer vos préférences) en cliquant sur le lien au bas du courriel!

Pour les pas-encore-abonnés, suffit de cliquer ici pour ne rien manquer!


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine