Sacrée semaine. Pendant que la Cour Européenne des Droits de l’Homme confirmait la légitimité en France de l’interdiction de porter le voile dans les espaces publics, la Cour Suprême Américaine légitimait au nom de la liberté religieuse le droit de la chaîne de magasins de bricolage Hobby Lobby à s’exonérer d’une provision de l’Affordable Care Act (l’assurance santé obligatoire ou Obamacare) qui oblige les employeurs à offrir à leur personnel féminin une assurance santé incluant le remboursement de certains contraceptifs considérés comme abortifs. En gros, cette décision des juges à 5 contre 4 permet aux propriétaires d’entreprises chrétiens dévolus de ne pas payer pour une assurance médicale en contradiction avec leurs convictions religieuses.
A moins de 48 heures d’intervalle, ces deux décisions sont exemplaires des conceptions opposées de la laïcité de part et d’autre de l’Atlantique : soutenir le droit de toutes les religions à investir l’espace public, ou ne tolérer l’incursion d’aucune. Pour les américains, l’interdiction de porter le voile en public est une décision totalitaire et une atteinte profonde à la liberté de croyance (l’outrance est restée mesurée car elle concerne essentiellement les musulmans. Mais il faut s’attendre à un embargo complet sur le brie et le bordeaux le jour on on interdira en France le port d’une croix huguenote en pendentif à la télé). Pour les français, le déni de couverture médicale gratuite au motif de croyances religieuses est une décision barbare et une atteinte profonde à la liberté de (non)-croyance (et si l’outrance est restée mesurée, c’est sans doute parce qu’on est en juillet et qu’on est trop occupé à jouer au foot pour penser à saccager un Mac Donald).
La comparaison pourrait s’arrêter sur ce constat qu’on est vraiment pas pareil. Ni pires ni meilleurs. Juste différents.
Mais il y a quelque chose de plus dans la décision de la Cour Suprême américaine qui vraiment, mais alors vraiment, me laisse amer quant à la tournure que prend la justice dans ce pays. On ne parle plus ici d’individus dont on protégerait la liberté de penser. De citoyens dont on garantirait le droit à s’exprimer. Non. Il s’agit bien ici de protéger le droit de Hobby Lobby, une corporation grossièrement cachée derrière les convictions religieuses de ses actionnaires majoritaires, à faire valoir ses principes de management …et a s’exonérer au passage d’une loi un peu trop coûteuse. Car ne nous y trompons pas, le très chrétien David Green –patron et fondateur de cette chaine de magasins– n’est pas prêt d’arrêter l’importation massive de marchandises en provenance de Chine dans ses magasins, un pays où l’avortement a été érigé en politique démographique…
Depuis 2010 et la décision de la Cour Suprême de lever toute limitation dans les contributions des entreprises aux campagnes électorales américaines au nom du principe de la liberté d’expression pour tous, il semble que décidément, pour les « sages » de l’instance judiciaire suprême des Etats-Unis, les corporations soient devenues des individus comme les autres. Corporations are people. Et qu’importe qu’elles ne connaissent pas l’amour…