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Mai 68, mai 98, mai 2008, ...

Publié le 20 mai 2008 par Laurent Matignon
Je l’ai vu tant de fois. Il est cet idéal que les autres jeunes gens poursuivent sans jamais parvenir à leurs fins. Car enfin, qui d’autre que lui sait se mouvoir avec tant de naturel. Après tout, il en est convaincu, il est un jeune tout ce qu’il y a de plus banal. Mieux encore : les gens qui le croisent semblent tous essayer de lui ressembler. Sans grand succès parfois. Avec un quelque chose de ridicule souvent. C’est donc bien qu’il est la norme, en tout cas qu’il tend vers une confortable normalité.
Et pourtant.
Pourtant, si ces jeunes gens qui le regardent avec envie savaient ce qui se cache sous sa casquette protège-nuque, ou sous son bonnet rastafari, sorti lorsque le soleil se fait moins agressif pour la fragile peau de son cou... S’ils se doutaient une seule seconde que cet être d’apparence si fière n’est que le produit de la société dans laquelle ils vivent tous… Leur produit, en somme. Car ce n’est pas le moindre des paradoxes : ce sont bien ces jeunes disgracieux et malhabiles qui façonnent leur propre modèle, vers lequel ils vont ensuite converger.
Bien entendu, l’utilisation du singulier est ici abusive. Car nous savons tous que ces jeunes sont bien trop ouverts d’esprit et récalcitrants à toute uniformité pour se laisser enfermer dans un seul et unique modèle.
Tout n’est pas si simple !
Pour s’en convaincre, chacun est invité à se rendre chez le disquaire le plus proche de chez lui. Il n’est point question ici de supermarché du disque, tels que le Virgin ou la Fnac. Ceci pour la simple et bonne raison que de vieux cons ont une fâcheuse propension à venir se mêler des affaires de ceux qui vont refaire le monde. Difficile pour le jeune de se ménager une place au soleil, entre les gamins boutonneux du rayon Playstation et les papis grisonnants venus, honte à eux, se mêler de culture – avant de retourner se vautrer devant Lagaf sur TF1, juste retour des choses.
Le jeune, lui, préfère se retrouver chez son dealer de zique attitré. Non pas que les prix y soient plus abordables, non : d’ailleurs, il n’en sait rien, les CD n’ont aucune étiquette et il n’a jamais osé demander, de peur de passer pour un de ces êtres qu’il abhorre, le jeune bien intégré. Et puis les CD, quelle horreur ! Il n’en écoute jamais, en fait. Ce son froid et impersonnel, c’est bon pour ces pecnots fans du Top 50 et de Claude François. Pas de ça chez lui. Chez son disquaire, donc, il retrouve les 3 ou 4 personnes dignes de lui parler. Et dignes de faire fonctionner son cerveau en vue d’élaborer un subtil « waouh cool man, le dernier sceud de Noirdes il arrache veugra » pour répondre aux stimuli auditifs qui ont atteint ses oreilles si expertes.
Attention : ne pas croire que le jeune va se contenter de reproduire ce qu’il voit sur les pochettes des vinyles et sur papier glacé ! Car il n’a aucune envie de se laisser manipuler par les majors du disque et leurs démarches marketing, qui tentent de les embrigader. D’ailleurs, le jeune conchie les majors, ainsi que les magasins traditionnels. Mais comment pourrait-il être influencé, lui, par de si grossières manœuvres ? Bien trop futé, nous le savons. Le jeune est par essence o-ri-gi-nal.
Ça y est, le mot est lâché.
Le jeune n’a en effet aucune règle de conduite préétablie, puisqu’il est original, anticonformiste, « innatendable » si l’on peut dire. C’est bien pour cela que le jeune se regroupe en tribus dont les membres ont atteint la même originalité que lui. Un stade supérieur de conscience. Par exemple, le jeune lit des fanzines écrits par d’autres jeunes identiques à lui. Quelle meilleure façon en effet de ne pas subir l’influence néfaste de tous ceux qui sont effrayés par cette clairvoyance et cette ouverture d’esprit ?
Autre point majeur : le jeune fume. Mais là encore on peut distinguer différents niveaux de hiérarchie bien distincts. Car fumer c’est bien, mais fumer quoi ? Le jeune sait bien que par un tel acte il combat la pensée unique et conformiste de ses pauvres aînés qui, décidément, n’ont rien compris : quelle vanité d’avoir voulu changer le monde en érigeant des barricades, ou en se regroupant par troupeaux entiers, béats et benêts, prônant l’amour et la paix universelle ! Non, tout cela est illusoire et par essence perdu d’avance. La seule résistance valable et viable est la « résistance passive ». A savoir conserver contre vents et marées cette indépendance d’esprit inébranlable. Ne JAMAIS ressembler à ces aînés stupides avachis et abrutis devant leur poste de télévision, qui les abreuve de vide et de néant.
Or être indépendants c’est élaborer par soi-même son système de pensée - c’est-à-dire, pour beaucoup, à partir de rien, ou si peu… Je fume parce que les autres jeunes fument ? Ou encore pour me donner une contenance à laquelle je ne pourrais accéder d’aucune autre façon ? Ridicule ! Totalement infondé ! Non, je fume parce que j’aime ça et d’ailleurs, si tu essayais, tu comprendrais !
Ne nous méprenons pas : je fume, mais pas du tabac, c’est bien trop mauvais pour la santé. Et je n’ai pas envie de devenir accro. C’est que je tiens à mon indépendance, ne l’oublions pas. L’alcool ? Rien de pire ! Bon, bien sûr, difficile de s’amuser sans un peu d’alcool… Mais moi je l’affirme haut et fort : faisons comme en Hollande. Legalize ! Ceux qui n’ont jamais atteint ce stade supérieur d’intelligence et de lucidité sont effrayés, c’est finalement compréhensible.
J’irais jusqu’à dire que c’est presque excusable.
La Lutte se fait par somme d’individualités et non plus par groupes. Chacun doit dénoncer, protester, résister, à l’image de ces bouffons modernes de notre si brillante et cultivée chaîne cryptée. Les Deschiens ! Quelle admirable façon de remettre à sa place cette France profonde si stupidement satisfaite de sa condition misérable, qui se nourrit d’ignorance. Rions des autres, il en restera toujours quelque chose ! Nulle Par Ailleurs on ne peut enrichir sa culture de meilleure manière que lors du sacro-saint 20h de Canal. Laissons aux autres le Journal. Ce tissu de mensonges et d’images sensationnelles qui n’a pour autre but que de nous amener à penser telle ou telle chose. Et puis on en revient toujours à une conclusion évidente bien que regrettable : les hommes politiques n’ont pour seule raison d’exister que l’accumulation de voix. La politique, c’est très important. Mais les hommes politiques sont trop vieux, et ne comprennent rien à rien – sauf peut-être ce bon « Djack » à qui l’on doit l’indispensable « Fête de la Musique », joyau du patrimoine français.
Mais le jeune s’implique en politique. Il a un avis sur tout. Et notamment sur le Front National. Ce parti raciste, fasciste, et xénophobe - à tendance néo nazi – se développe dans le sud-est de la France ? Normal, c’est peuplé de vieux, et les vieux, c’est bien connu, c’est très con et ça a peur de tout – y compris et peut-être surtout du jeune qui effraie par son intelligence. Malheureusement, impossible d’espérer raisonner ces vieux. Donc plus les vieux s’installeront dans le sud, et plus le F Haine progressera. Mais qu’attend-on donc pour prendre des mesures ? Que Le Pen devienne chancelier et trucide tous ses opposants un soir de 1er Mai ? Qu’attend-on pour interdire ce parti par nature anti-démocrate ?
Tout cela m’écœure en plus de me laisser perplexe. Je crois que le mieux à faire dans l’immédiat est de retrouver ce putain de billet Fnac pour le concert de RATM ce soir au Zénith. Là-bas au moins je pourrai continuer la Lutte.
La Lutte pourquoi ? Contre quoi ?
J’ai oublié…
Sans doute tout cela me reviendra-t-il plus tard, avec plus de force encore…

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