Suite des souvenirs de Madeleine ...
Pour notre arrivée, la Compagnie de St-Gobain nous avait fait retenir pour un mois, trois jolies chambres à l’hôtel de Paris, qui faisait l’angle de la “Puerta del Sol”, une des plus belles places de Madrid, et de la “calle (rue) Alcala.
Les enfants entrèrent, comme prévu, au Lycée Français le premier Octobre, deux jours après notre arrivée et mon mari repris son poste au siège social de St-Gobain, calle Almagro. Tout s’était donc bien terminé et nous passâmes là un mois très agréable dans ce pays où tout était nouveau pour nous. Ayant fait quatre années d’Espagnol à Paris au moment de mes études, je n’eus pas trop de difficultés à me faire comprendre.
Quant aux quatre enfants, tout est facile à cet âge là. Ils apprirent vite la langue avec leurs camarades au Lycée Français, dont la grande majorité étaient des Espagnols. Car il était de bon ton dans les familles espagnoles, d’envoyer les enfants faire leurs études au “Lycée Français”.
Mais notre déménagement, parti depuis deux mois, n’était pas arrivé et nous sûmes que les camions étaient bloqués à la frontière: les Allemands ne leur permettaient pas de passer. Il nous fallut acheter quelques vêtements pour l’hiver qui approchait, entre autres deux beaux et bons manteaux pour les garçons. J’y fais allusion, car trois jours après, ils avaient disparu de l’armoire de leur chambre!!. La guerre civile venait de se terminer quelques mois auparavant et il y avait beaucoup de gens dans le besoin, sans compter les cartes de rationnement pour le pain et bien d’autres denrées de première nécessité.
Les manteaux avaient été volés!. Le directeur de l’hôtel, après bien des palabres et à cause de Saint-Gobain qui lui procurait de nombreux clients, nous les remboursa. Nous pûmes donc en racheter; ce premier incident me braqua un peu contre les Espagnols. Mais nous étions ensemble, tous les six, ne craignant plus rien, alors qu’en France, l’ occupation se faisait de plus en pus pénible. Tout était donc pour le mieux.
Dans les rues de Madrid, il y avait beaucoup de traces de la guerre civile, des maisons détruites dont on commençait à enlever les gravats, beaucoup de rues défoncées. Il nous fallut chercher un hôtel pour attendre notre déménagement et tous nos meubles. Je visitais un ou deux appartements que je n’eus même pas l’idée de louer à l’avance, croyant qu’il me serait facile d’en trouver un quand le déménagement arriverait.
Or, nous constatâmes que la Compagnie St-Gobain avait bien trompé mon mari en lui fixant son traitement en Espagne. Avec le change, cela paraissait plus qu’acceptable. Mais sur place,et avec quatre enfants à notre charge, il fallut nous restreindre; et ce furent deux grandes chambres communicantes à l’”Hosteria Espanola” près du lycée français, que nous trouvâmes pour nous loger pendant ......... six mois!! au prix de cent pesetas par jour pour nous six, repas compris. On croit rêver quand on compare ce prix à ceux d’aujourd’hui. Bien sûr, quarante sept ans ont passé depuis cette époque!.
Et finalement, nous ne gardons pas un si mauvais souvenir de cette “Hosteria Espanola” où les pensionnaires furent bien sympathiques avec nous. Nous y passâmes un Noël assez gai. La proximité du Lycée Français et d’ Almagro facilitait bien les choses.
En février, Chantal déclara une forte scarlatine et nous eûmes la chance qu’on veuille bien nous garder. Elle resta un mois enfermée, très bien soignée par le docteur Romero et sa Maman, comme infirmière. Et le Ciel voulut bien que personne de nous cinq ne l’attrapa.
Le premier jour où elle revint dans la salle à manger, tous les pensionnaires avait mis sur notre table pleins de cadeaux pour notre convalescente. C’était vraiment très touchant.
Mon mari fit des tas de démarches pour que nos camions de déménagement, toujours bloqués à la frontière, soient dédouanés. Enfin, grâce aux interventions de Saint-Gobain, nos meubles et nos vêtements nous arrivèrent à Pâques. Je m’étais remise à chercher des appartements; mais hélas, avec toutes les reconstructions non terminées, je ne trouvais rien. Finalement, pressés par l’arrivée des camions, nous louâmes au 64 de la rue Princesa, tout près de la place de la Moncloa, si abîmée par la guerre, au sixième étage d’une maison retapée, un affreux appartement de sept pièces dont trois borgnes, c’est à dire: deux sans fenêtres et deux donnant dans une cour intérieure très sombre. Nous dûmes couper en trois le buffet de salle à manger pour qu’il puisse tenir dans la si petite pièce; le salon n’avait pas de fenêtre, pas plus que la cuisine et la chambre de bonne, car bonne il fallait avoir!. Ces deux dernières pièces donnaient sur une véranda vitrée. Tous les appartements espagnols ont en bout généralement, une chambre de bonne avec son cabinet de toilette et son w.c. particulier. Nous installâmes petit à petit toutes nos malles et ô joie! rien ne manquait. Les filles avaient leur chambre et François couchait avec elles. Alain avait sa toute petite chambre sur la cour intérieure, comme la notre, heureusement plus grande.
Nous passâmes dix ans dans cet inconfort, mais on s’habitue à tout. Et puis, au sixième, on a tout de même plus de soleil et un peu de vue sur la “Sierra”, les montagnes enneigées, à 50 kms de Madrid. Ce qui me vexait le plus, c’était de voir les beaux appartements des gens de Saint-Gobain ou de la colonie française chez qui nous étions invités et qui étaient à Madrid depuis des années. Nous avions l’air de parents pauvres! et c’est cela qui pendant longtemps, ne me fit pas apprécier l’Espagne.
Comme je vous l’ai dit la maison avait été reconstruite avec des matériaux de maisons détruites et un soir que nous rentrions d’un dîner, en allumant l’ électricité, nous vîmes des dizaines de cafards noirs qui se sauvaient. C’ était dans la galerie vitrée et ils devaient monter par les tuyaux. En ai-je écrasé, de ces cafards avec ma chaussure à la main! pendant que les enfants n’osaient pas rentrer dans leur chambre!. Avant de partir pour nos premières vacances, nous appelâmes le service de désinfection qui se chargea de faire disparaître ces affreuses bêtes!