Dominique Dimey, fille du poète Bernard Dimey, est une femme aux multiples talents : comédienne, chanteuse, écrivain. Femme engagée, elle met son talent au service de l’enfance. Elle a publié un livre-CD le droit des enfants dont voici une adaptation.
Les enfants de nulle part
Il était une fois un enfant comme toi, de ton âge, qui vivait dans une maison, avec sa famille. Il avait des amis, il allait à l’école, faisait du sport et de la musique. Comme toi, il était curieux de tout ; il dévorait les livres pour connaître le monde. Pourtant, cela ne lui suffisait pas. Un jour qu’il se promenait dans la campagne, il alla s’asseoir au pied d’un arbre. C’était un chêne robuste, vieux de cent ans, avec des branches aussi accueillantes que des bras ouverts. L’enfant se sentait bien, et il se mit à parler :
— Si notre planète était aussi petite qu’un village, cela me serait facile d’aller sur tous les continents ; en quelques pas, je pourrais rencontrer tous les enfants de la Terre !
À cet instant, les branches du vieux chêne s’abaissèrent et soulevèrent l’enfant pour l’entraîner dans un tourbillon étourdissant. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il marchait sur un chemin de cailloux. Devant lui, pieds nus, sales, enroulés dans des couvertures, un groupe d’enfants avançait. Les plus grands portaient les plus petits.
— Bonjour, dit l’enfant, où allez-vous ?
— Nous ne savons pas, nous marchons depuis des mois et des semaines ; nous avons fui notre maison, car il y avait la guerre.
— Où est votre famille ? Et votre village, votre pays ? demanda l’enfant.
— Nous n’avons plus rien. Nous n’avons plus que la peur dans nos ventres. Certains d’entre nous ont fui sur un bateau fait de vieilles planches trouées, d’autres ont traversé le désert sans boire ni manger, d’autres se sont cachés dans la forêt en se nourrissant de racines, dormant à même la terre !
L’enfant sentit la peur monter en lui. Une peur terrible qu’il ne connaissait pas. Pas une petite peur, comme celle du noir ou celle de l’orage, mais un affreux cauchemar dont on veut sortir au plus vite. Il voulait retrouver le vieux chêne, revenir chez lui.
Dans sa poche, il sentit une feuille bouger sous ses doigts ; il la pressa entre le pouce et l’index… et se retrouva au pied du vieil arbre :
— C’est horrible ! J’ai vu des enfants qu’on a enlevés à leur père, à leur mère, à leur terre, à leurs rêves ; il faut les aider, ils ont le droit de vivre en paix leur vie d’enfant !
L’enfant se levait pour partir, quand une branche le rattrapa pour lui faire survoler le chemin de cailloux. Deux grands chênes venaient juste d’y pousser, et là, dans de grands hamacs, les enfants de nulle part se reposaient paisiblement. L’enfant fut soulagé. Il ferma les yeux et lui aussi se laissa bercer par les branches. Une douce chaleur lui caressa le visage.
Enfants d’une île…
Il ouvrit les yeux : il se trouvait sur une île, au grand soleil. Au loin, des enfants s’agitaient :
— Bonjour, leur cria-t-il.
Les enfants lui jetèrent à peine un regard et continuèrent, les uns à cirer des chaussures, les autres à vider des ordures, d’autres encore à laver des carreaux. Il s’approcha d’eux :
— Vous voulez jouer avec moi ?
À ces mots les enfants s’arrêtèrent de travailler. Le plus grand d’entre eux fit un pas vers lui :
— Hé, ti-moun, on n’a pas le temps de jouer, on a nos petits boulots !
— Des petits boulots ?
— Toute la journée, on doit travailler ; sinon, le soir, on n’a rien à manger !
— Vous travaillez ? À votre âge ?
— À la maison, on est douze, on n’a pas le choix, on doit aider nos parents. Alors, tu sais, jouer, on n’a pas le temps !
— Et le soir, vous avez bien un petit moment ?
— Le soir, on est tellement fatigués qu’on ne peut même pas rêver ! Tu vois le monsieur là-bas, avec ses chaussures poussiéreuses ? Il m’attend ; je vais les lui faire briller comme des étoiles, et s’il est très content, il me donnera deux pièces. Cela fera un fruit à pain et quatre patates douces. Allez, au revoir ti-moun, j’aurais bien voulu jouer avec toi !
L’enfant resta stupéfait : pas le temps de jouer !
Il alla s’asseoir au pied d’un arbre couvert de fleurs rouge et orange, un arbre pour le rêve, pensa-t-il. Il entendit la voix du plus grand lui murmurer à l’oreille :
— Hé ti-moun, quand je serai grand, je ferai une loi qui donnera à tous les enfants le droit de jouer chaque jour !
Alors du flamboyant glissèrent, comme une pluie de rêves, les jouets les plus extraordinaires.
Manitra
L’enfant allait prendre un jouet, quand à nouveau les branches de l’arbre le soulevèrent, pour l’emmener ailleurs. Elles le déposèrent dans le quartier pauvre d’une grande ville.
— Ces maisons sont fabriquées avec des cartons. Comment font les gens pour vivre dedans quand il pleut ?
Une petite fille lui répondit. Elle était vêtue d’une robe sale et trouée, ses mains étaient noires de poussière de charbon :
— Je suis Manitra ! Quand il pleut, on ajoute des grands plastiques, c’est tout ! boeh boeh !
— Ça veut dire quoi, boeh, boeh ?
— Charbon, charbon ! Je ramasse des boulets de charbon, et je crie boeh boeh dans les rues pour les vendre ; avec l’argent, je peux acheter du riz et des haricots !
En parlant, Manitra toussait après chaque phrase, par quintes aiguës :
— Tu es malade ?
— Ici, les enfants qui ramassent le charbon toussent ; c’est la poussière qui irrite nos poumons.
— Mais tu n’as pas de sirop ?
— Il faut de l’argent pour se soigner !
Un bébé courut se blottir contre Manitra ; ses jambes étaient couvertes de plaies.
— C’est mon petit frère.
— Il faut soigner ses jambes !
— Je sais, mais pour cela, aujourd’hui, je dois ramasser et vendre cinquante boulets pour acheter une pommade. C’est très difficile !
L’enfant fouilla au fond de ses poches et fit tomber sur le sol une feuille du chêne. En quelques secondes, un baobab majestueux se dressa, portant des guirlandes de médicaments et de vitamines.
Manitra choisit ce qu’il fallait pour soigner son petit frère.
— Plus tard, je serai infirmière dans mon pays ; je m’occuperai des enfants pauvres, qui vivent au bord des routes ou dans les quartiers de carton, pour qu’eux aussi, ils aient le droit d’être soignés.
Romain
L’enfant ne l’entendait plus. Il se trouvait déjà loin, bien loin, dans une cité de béton, sans baobabs et sans fleurs. Sur les marches d’un immeuble était assis Romain. L’enfant l’aborda :
— Bonjour, tu es tout seul ? Tu n’as pas de copain ? Tes parents ne sont pas là ?
Romain répondit par un hochement de tête comme s’il avait perdu la parole. L’enfant posa doucement sa main sur son épaule :
— Bonjour ! Dis, tu veux bien être mon copain ?
Romain leva la tête :
— Je suis seul toute la journée. Quand je me lève, mes parents sont déjà partis, et le soir, je mange tout seul devant la télévision !
— C’est parce qu’ils ont beaucoup de travail ?
— Non, les jours où ils ne travaillent pas, c’est pareil. Ils ne me parlent presque pas, seulement pour me punir ou me gronder. Si je pose une question, souvent mon père s’énerve et me frappe, je ne comprends pas pourquoi ! Je ne suis sûrement pas l’enfant qu’il voulait !
Romain cacha sa tête dans ses genoux :
— J’ai honte de t’avoir raconté cela, tellement honte.
Et il courut s’enfermer chez lui. L’enfant se colla contre la porte et dit :
— Tu n’y es pour rien, ce n’est pas ta faute. Tu as le droit à la parole, tu as le droit de raconter ton histoire, tu ne dois pas rester enfermé dans ton silence, à souffrir tout seul. Tu m’entends ? Je suis ton copain ! Je suis ton copain !
Et il laissa devant la porte de Romain une poignée de feuilles du vieux chêne. En un instant, elles s’entrelacèrent en une tresse solide qui courait de maison en maison, chez d’autres enfants, de nouveaux copains pour Romain. L’enfant aurait bien voulu suivre cette longue chaîne d’amitié, mais déjà les branches lui indiquaient une autre direction.
Fillettes…
Elles le conduisirent dans une ruelle étroite et mal éclairée. Il n’était guère rassuré. Derrière une fenêtre à barreaux, il aperçut deux fillettes.
— Des enfants en prison ? Bonjour, dit-il timidement, que faites-vous là ?
— Nous sommes prisonnières !
— C’est interdit de mettre des enfants en prison, qu’avez-vous fait de mal ?
— Rien, un monsieur nous a achetées à nos parents.
— Quoi, il vous a achetées ?
— Oui, il a dit qu’il nous donnerait du travail, que nous aurions un toit, de la nourriture et de l’argent ! Nous sommes très pauvres, nous l’avons cru.
— C’était un menteur, un malhonnête !
— Il nous empêche de sortir en posant des barreaux aux portes et aux fenêtres, il nous interdit de parler. Nous sommes devenues ses esclaves, chuchota la fillette.
— Où est ce monsieur, il faut l’arrêter, le juger, où est-il ?
— Dans notre pays, il y en a beaucoup, des messieurs comme lui. On ne peut rien faire !
— Si, justement, on peut faire quelque chose !
L’enfant révolté se mit à tirer de toutes ses forces sur les barreaux. Il ne réussit pas à les écarter ! Affolées, les fillettes allèrent se cacher.
L’enfant devait retrouver le vieux chêne au plus vite. Il enfouit ses mains dans ses poches et froissa vivement une feuille. Immédiatement, l’arbre apparut ; l’enfant s’accrocha à son écorce en criant :
— Sur notre planète, il y a des enfants que l’on bat et des enfants que l’on achète, c’est honteux, on n’a pas le droit.
Et il se mit à pleurer.
Délicatement, la branche vint sécher les larmes qui glissaient sur ses joues comme des perles de pluie. Elle le déposa sous un tilleul en fleur.
Mohamed
Il marchait maintenant dans une rue toute blanche, déserte. Soudain, quelqu’un l’interpella, derrière un volet :
— Eh, que fais-tu ici ?
L’enfant hésita :
— Je viens rencontrer les enfants de ce pays, mais je ne sais même pas dans quel pays je suis arrivé !
— Ici, il y a un désert avec du sable, blond, fluide, qui coule comme du miel quand on le prend dans sa main ; avant, j’allais souvent dans ce désert avec mon père.
— Et pourquoi tu n’y vas plus ?
— Parce qu’on ne sort plus de chez nous, on se méfie de tout, de nos voisins, de nos amis, de nos cousins !
— Et de moi ?
— Oui, de toi aussi ! Avant, je serais sorti dans la rue pour te parler ; maintenant, je reste enfermé et j’ai peur de tout : d’une voiture qui démarre, d’un volet qui claque, des pas sur le trottoir, j’ai peur.
L’enfant se sentit mal à l’aise. Il se souvint de la terrible peur ressentie sur le chemin de cailloux :
— De quoi as-tu peur ?
— De la violence !
— Toi, tu n’y es pour rien !
— Bien sûr, mais quand une bombe explose sur un marché ou près d’une cour d’école, elle blesse et tue des enfants et des gens qui ne voulaient rien de tout cela ! Plus tard, si je suis président de la République, j’empêcherai la violence, la guerre, pour que tous les enfants aient le droit de vivre en paix !
L’enfant sentit la peur revenir avec ces mots terribles : violence, guerre ! Autour de lui, aucun arbre pour le protéger. Il chercha dans sa poche ; il ne lui restait plus que deux feuilles. Il en prit une et l’éparpilla en minuscules morceaux.
Aussitôt, une rangée de palmiers superbes borda la route. L’enfant commençait à les compter un… deux…, quand il se retrouva à cheval sur la branche du chêne. Tout allait vite ! Au-dessous de lui défilaient un continent et ses pays. La tête lui tournait, il avait vraiment le vertige !
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Enfants volés Donna Meehan Mon enfance volée Une vie d aborigène Kartable