Eulmont, dimanche 2 août 1914
Ma bonne Cécile,
Depuis avant-hier soir nous sommes séparés et cependant il me semble qu’il y a un siècle.
Je ne sais pas comment je vis et ne veux pas croire que tous ces événements pourraient être le prélude d’autres beaucoup plus graves. Et cependant je continue à avoir la même conviction au sujet de l’heureuse et rapide conclusion de tout cela.
Ce que j’ai vu ici est admirable, jamais je n ‘aurais osé rêver un pareil état d’esprit du soldat français, il se croit aux manœuvres tout en sachant qu’il y a des cartouches à balles au lieu de cartouches à blanc.
Et les paysans ? Malgré la perte que leur cause, en ce moment de l’année, leur départ pour l’armée, on n’entend pas un murmure et à peine les sanglots des femmes.
Hier, c’est une femme qui ici, a battu la caisse pour lire l’ordre de mobilisation générale. Elle était pâle, mais de quelle voix lut-elle son papier…
Mais chérie, je te cause de tous ces détails avant de te parler de ce qui t’intéresse le plus en ce moment, le départ de Robert. Car sans doute, il est parti aussi, ce bon gros. Oh ! Combien il est gentil et combien il nous aime. Quand, avec mes hommes hier, je grimpais la côte par la chaleur, les semant le long de la route, frappés par l’insolation, je ne songeais guère à le trouver en haut avec son vélo et ma capote qu’il réussit malgré bien des difficultés à me rapporter de Nancy. J’en suis heureux car on est moins sanglé avec ce vêtement.
Et toi ma bonne Cécile, comment vas-tu ? Sois bien courageuse et ne te fais pas de chagrin, tu as beaucoup d’émules.
Ce matin, des bruits circulaient ici qui venaient confirmer ma conviction sur les événements qui se déroulent actuellement.
On disait que l’Autriche lâchait l’Allemagne et réglait son affaire avec la Serbie, que l’Allemagne rendait l’Alsace et la Lorraine contre deux milliards, que le Danemark marchait avec nous…etc.…etc.…
Je suis certain que quelque chose de semblable se réalisera…
En tout cas l’affaire est bien menée ; combien jusqu’à présent on donnera tort à ceux qui ont dit que nous n’étions pas prêts. Et le plus beau c’est qu’on devine que tout le monde sait le nom de l’homme qui est le grand manitou de cette réussite : le Gal de Castelnau.
Aujourd’hui, bien que le réveil eût lieu à 2 heures du matin, nous restons ici à Eulmont, village éloigné de quelques kilomètres à peine de Nancy et dont nous sommes pourtant si séparés. En effet, plus de chemin de fer, plus de téléphone, les fournisseurs, sans chevaux n’arrivent plus. Il n’y en a plus que pour l’armée, la grande maîtresse !
Je crois qu’il serait plus aisé en ce moment de communiquer avec le casque à pic, eux qui sont à quelques mètres des nôtres…
Ma bonne Cécile notre séparation est due à des motifs que, bien que nous soyons famille militaire, nous n’avions peut-être pas envisagé. Je ne sais si c’est en raison de la nature de ces motifs, mais il me tarde de la voir cesser, cette absence pourtant courte ne m’a peut-être jamais fait éprouver de pareille sorte combien je te chéris et les chers nôtres et tu verras que le sort ne pouvant modifier un tel état de choses n’y apportera d’autres modifications que plus d’amour et d’affection.
Je t’embrasse fort, bien fort et Loulou aussi, qui je l’espère, doit être bien gentil avec toi.
Amitiés à M. et Mme Roche et à M. Gauny
Ton affectionné
J.Druesne
Jusqu’à présent, j’ai vécu seul de bien peu de choses il est vrai, mais le colonel organise la paperasse et m’en charge. Je crois que nous serons encore plusieurs jours ici.
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2 août 1914 5 (JMO du 37e RI)
Le régiment est en réserve à Eulmont ; la 3eme compagnie relève la 2eme à Montenoy dans la soirée.
Le dernier détachement des réservistes sous le commandement du Capitaine Greff secondé par l’adjudant Lutzinger et qui devait assurer la mobilisation des 2e échelons rejoint le Régiment à Eulmont à 17h. Le régiment est dès lors complètement mobilisé.
L’organisation de la position de couverture devant se continuer, le 37e reçoit l’ordre d’organiser la lisière N du bois de Faulx.
Le 1er et 2e Bataillons doivent fournir le 3 des détachements de travailleurs sur cette position.