De [email protected] à [email protected]
Monsieur,
Seriez-vous disponible le mardi 10 février à 11h ? Nous serions ravies de faire votre connaissance. Votre profil a particulièrement retenu notre attention. Nous cherchons une nounou anglaise pour nos deux jumelles, Anouk et Mariette, six mois. Et il est rare de trouver un homme prêt à s’occuper de langes et des cris d’enfant.
Pour précision : sachez que nous sommes un couple de lesbiennes amoureuses et assumées. Anouk et Mariette sont les fruits d’un don de sperme effectué en Espagne. Mathilde est la mère biologique. Si jamais cela devait vous poser le moindre problème, inutile de venir. Nous vous saurions gré de faire votre bilan moral avant de confirmer votre disponibilité, comme nous avons pu l’effectuer nous-mêmes en proposant ce poste à un individu mâle.
Merci pour votre réponse rapide.
Bien cordialement,
Chloé et Mathilde
PS : je n’ai pas vu vos références, merci de les apporter mardi.
…
J’ai lu deux fois l’email. Envoyé hier soir à 23h45. Putain, je n’aurais jamais cru que ça marcherait. Elle était parfaitement casse-couilles, cette Chloé. Et je déteste les gens qui signent pour deux. Mais moi, j’étais interdit bancaire depuis sept mois. J’en avais marre de me casser le dos dans les chantiers, de suer dans ces ambiances de phéromone où c’est le premier qui met sa bite sur la table qui a gagné. Je ne sais pas ce que j’avais bien pu foutre dans mes pérégrinations du soir sur le net. M’étais-je trompé de case dans la rubrique Secteur professionnel ? Comment avais-je pu cocher Pouponnière à la place de Construction ? Dans mon esprit cuvant du matin, cela me revenait vaguement. Je m’étais inscrit simultanément sur un site de rencontres et d’emploi. Quel con ! Dans mes beuveries nocturnes, j’avais dû m’emmêler le zob dans les fils de la souris. J’ai aussitôt vérifié. J’ai allumé mon ordi. Il m’a bien fallu attendre cinq minutes pour que l’antiquité ronronnante s’allume et puis encore dix autres pour chopper une connexion. Je m’enfilais des cafés, histoire d’avoir ma dose de caféine. Là, enfin, j’ai vu ma photo de suceur de chattes sur mon profil de candidat à l’intérim : mon fin sourire narquois, mes cernes bleues, mon regard fumant, mes cheveux en bataille et ma barbe gainsbourienne de trois jours. Bref, ma tête de rat vicieux. Ca se confirmait, mes possibles futures employeuses avaient un goût de chiottes. Merde, j’ai encore mis des mégots sur mon clavier. J’ai soufflé sur mon clavier où manquent les touches Q et G. Comme par hasard… Ce n’était pas tout, je ne m’étais pas loupé. Il y avait aussi ma description au titre ridicule et sans mystère : « nounours en recherche d’affection » (elles me disent tous ça : « derrière ta sale gueule de voyou, on devine un être sensible », j’en doute mais en attendant, ça me permet de les tringler): « Je suis un cœur tendre. Mes bras sont forts. J’aime les bébés et je ne crains pas de jouer au papa. J’écoute et je serre. Je sais punir si on n’est pas sage avec moi. J’ai une éducation anglaise, moi, je suis très à l’épingle sur les bons principes. Essaie-moi. Tu verras. Je sais tout faire. » Là, j’avoue, je suis resté dubitatif, non pas sur ma prose débile mais sur la santé mentale de la Chloé. Ou bien la nana avait un humour qu’on ne soupçonnait pas à son style de mal-baisée (une bite incontestablement devait lui manquer). Ou bien elle était complètement folle. Ou bien, ou bien…J’avais totalement perdu la main et quand je m’essaie au salace, je décroche un rendez-vous pour devenir jardinière. J’ai préféré ne pas jeter un œil à mon inscription sur Déverrouille-moi.com. Pas étonnant que je n’y ai reçu aucune réponse de ce côté-là. L’ouvrier du chantier, à part dans les pub coca cola, ça n’a plus rien de sexy. Les filles sentent trop le mec sans thune, sans papier, à l’arrache et qui va venir les troncher et repartir avec l’Ipad et le Mac après. Mais je n’en suis pas encore là, j’ai juste envie de me vider les couilles. J’ai appuyé sur Reply, je n’ai pas réfléchi :
De [email protected] à [email protected]
Chère Chloé,
Thanks for your message. Sure, I’m available. Et, oui, je suis disposé « moralement » à vous rencontrer. By the way, merci de me préciser le lieu de notre meeting.
Sincerely yours,
Chris
Et puis, j’ai appelé Emma. Il fallait me trouver des références d’ici mardi.