Magazine Journal intime

Ça

Publié le 20 mai 2008 par Eric Mccomber

J'éteins chaque soir ma bougie avec le cul d'une bouteille de rouge et la teinte que prend la bouteille, durant les quelques secondes qu'il faut à la flamme pour manquer d'air, c'est ça.
J'ai finalement posé les pieds dans cette mer qui me fait de l'œil toute la journée et toute la nuit. Depuis Royan, je prenais mon temps. Elle m'a mordillé les talons de ses petits crocs glacés, et c'était ça.
Je me suis un peu brouillé avec Ambroise. Il a donné rendez-vous à tous ses potes, et pendant quelques jours, il y en avait une quarantaine dans le campement. Pas que ça me dérange, y a de la place ! Mais tout de même, il aurait pu m'en parler. Ça a éclaté quand un de ses amis, Chester, s'est retrouvé ébouillanté dans la passoire que je tentais de récurer. Pire, en voulant le secourir, j'ai saisi sa coquille entre mes doigts et je l'ai sentie craquer. L'horreur. Je suis parvenu à le sortir de là et à le poser sur une feuille d'aloès en me disant que ça lui apaiserait le bobo de ramper sur cette plante, mais de retour à la base j'ai fait une petite colère nerveuse à toute la bande d'évachés, les réprimandant pour leur négligence. Le lendemain ils étaient tous partis, sans laisser un mot. J'ai pas revu Ambroise depuis. Ça me rend tout penaud, parce que quand même, le matin, je regardais leurs petites danses d'antennes sur ma toile de tente et… c'était ça.
Les fourmis se crissent ben de nous, encore plus qu'on se crisse d'elles. J'ai abandonné mes tentatives de communication. Pour le moment, je persiste dans ma neutralité et je ne me mêle pas de leurs guerres fratricides. Paix dans ma tente aux arthropodes de bonne volonté. Quand je dors elles me courent dessus et je suis pas certain que ça soit ça.
Les Allemands en campeurs s'installent tous le plus près possible des sanitaires. Il y a un gros BBQ de briques juste devant et les Fritz s'y succèdent pour faire leurs grillades malgré les puissantes effluves des chiottes de camping situées à… deux mètres. Ils ne m'offrent jamais de leurs saucisses, mais c'est pas grave, ça.
Entre vingt heures et le coucher du soleil je prends ma Petite Chinoise dans mes bras et je joue du bottleneck blues en regardant le soleil qui décline. Two thousand miles I roamed just to make this dock my home. Otis Redding, c'est ça.
Je continue à me lever la nuit, après le passage d'une vedette rapide et bruyante qui file vers le bassin vers les trois heures du matin (des trafiquants ?). Je sors tirer un trait, tout nu. C'est fou, ce que ça me fait. Je trippe pas nudiste, bien au contraire. C'est pas de voir les autres ni d'être vu, c'est le vent sur ma peau, on dirait, et la nuit juste à moi. C'est le léger brouillard qui tente de m'attirer dans le giron du grand gouffre et me caresse les genoux. Je suppose que c'est de paraître face à l'immensité grise, sans défense, sans fard, debout, comme un homme. Un million d'années plus tard. Un grain de sable qui pisse sous les étoiles. Peut-être que l'humilité, c'est ça.© Éric McComber

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